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Le Petit Chose (part 1) - Histoire d'un Enfant
by Alphonse Daudet
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Heureux enfants! ils s'en allaient, ils partaient tous.... Ah! si j'avais pu partir moi aussi....

[Le Petit Chose breaks down owing to overstrain, and for five days is in a state of delirium. His farther, who happens to be in the neighbourhood on business, comes to see his son, and finding him in this precarious state, watches over him day and night till called away.]

VII

LES YEUX NOIRS

Aprs le dpart de son pre l'enfant reste seul, tout seul, dans l'infirmerie silencieuse. Il passe ses journes lire, au fond d'un grand fauteuil roul prs de la fentre. Matin et soir la jaune Mme Cassage lui apporte ses repas. Le petit Chose boit le bol [60] de bouillon, suce l'aileron de poulet et dit: "Merci, madame!" Rien de plus. Cette femme sent les fivres et lui dplat; il ne la regarde mme pas.

Or, un matin qu'il vient de faire son: "Merci, madame!" tout sec comme l'ordinaire, sans quitter son livre des yeux, il est bien tonn d'entendre une voix trs douce lui dire: "Comment cela va-t-il aujourd'hui, monsieur Daniel?"

Le petit Chose lve la tte, et devinez ce qu'il voit.... Les yeux noirs, les yeux noirs en personne, immobiles et souriants devant lui!...

Les yeux noirs annoncent leur ami que la femme jaune est malade et qu'ils sont chargs de faire son service. Ils ajoutent en se baissant qu'ils prouvent beaucoup de joie voir M. Daniel rtabli; puis ils se retirent avec une profonde rvrence, en disant qu'ils reviendront le mme soir. Le mme soir, en effet, les yeux noirs sont revenus, et le lendemain matin aussi, et le lendemain soir encore. Le petit Chose est ravi. Il bnit sa maladie, la maladie de la femme jaune, toutes les maladies du monde; si personne n'avait t malade, il n'aurait jamais eu de tte—tte avec les yeux noirs.

Oh! bienheureuse infirmerie! Quelles heures charmantes le petit Chose passe dans son fauteuil de convalescent, roul prs de la fentre!... Le matin, les yeux noirs ont sous leurs grands cils un tas de paillettes d'or que le soleil fait reluire; le soir, ils resplendissent doucement et font, dans l'ombre autour d'eux, de la lumire d'toile.... Le petit Chose rv aux yeux noirs toutes les nuits, il n'en dort plus. Ds l'aube le voil sur pied pour se prparer les recevoir: il a tant [61] de confidences leur faire!... Puis, quand les yeux noirs arrivent, il ne leur dit rien.

Les yeux noirs ont l'air trs tonns de ce silence. Ils vont et viennent dans l'infirmerie, et trouvent mille prtextes pour rester prs du malade, esprant toujours qu'il se dcidera parler; mais le petit Chose ne se dcid pas.

Quelquefois, cependant, il s'arme de tout son courage et commence ainsi bravement: "Mademoiselle!..."

Aussitt les yeux noirs s'allument et le regardent en souriant. Mais de les voir sourire ainsi, le malheureux perd la tte, et d'une voix tremblante il ajoute: "Je vous remercie de vos bonts pour moi." Ou bien encore: "Le bouillon est excellent ce matin."

Alors les yeux noirs font une jolie petite moue qui signifie: "Quoi! ce n'est que cela?" Et ils s'en vont en soupirant.

Quand ils sont partis, le petit Chose se dsespr: "Oh! ds demain, ds demain sans faute, je leur parlerai."

Et puis, le lendemain, c'est encore recommencer.

Enfin, de guerre lasse et sentant bien qu'il n'aura jamais le courage de dire ce qu'il pense aux yeux noirs, le petit Chose se dcide leur crire.... Un soir il demande de l'encre et du papier pour une lettre importante, oh! trs importante.... Les yeux noirs ont sans doute devin quelle est la lettre dont il s'agit; ils sont si malins, les yeux noirs!... Vite, vite, ils courent chercher de l'encre et du papier, les posent devant le malade, et s'en vont en riant tout seuls.

Le petit Chose se met crire; il crit toute la nuit; [62] puis, quand le matin est venu, il s'aperoit que cette interminable lettre ne contient que trois mots, vous m'entendez bien; seulement ces trois mots sont les plus loquents du monde, et il compte qu'ils produiront un trs grand effet.

Attention, maintenant!... Les yeux noirs vont venir.... Le petit Chose est trs mu; il a prpar sa lettre d'avance et se jure de la remettre ds qu'on arrivera.... Voici comment cela va se passer. Les yeux noirs entreront, ils poseront le bouillon et le poulet sur la table. "Bonjour, monsieur Daniel!..." Alors lui leur dira tout de suite, trs courageusement: "Gentils yeux noirs, voici une lettre pour vous."

Mais chut!... Un pas d'oiseau dans le corridor.... Les yeux noirs approchent.... Le petit Chose tient la lettre la main. Son c[oe]ur bat; il va mourir....

La porte s'ouvre.... Horreur!...

A la place des yeux noirs parait la vieille fe, la terrible fe aux lunettes.

Le petit Chose n'ose pas demander d'explications; mais il est constern.... Pourquoi ne sont-ils pas revenus?... Il attend le soir avec impatience.... Hlas! le soir encore, les yeux noirs ne viennent pas, ni le lendemain non plus, ni les jours D'aprs, ni jamais.

On a chass les yeux noirs. On les a renvoys aux Enfants trouvs, o ils resteront enferms pendant quatre ans, jusqu' leur majorit.... Les yeux noirs volaient du sucre!...

Adieu les beaux jours de l'infirmerie! les yeux noirs s'en sont alls, et, pour comble de malheur, voil les [63] lves qui reviennent.... Eh, quoi! dj la rentre!... Oh! que ces vacances ont t courtes!

Pour la premire fois depuis six semaines le petit Chose descend dans les cours, ple, maigre, plus petit Chose que jamais.... Tout le collge se rveille. On le lave du haut en bas. Les corridors ruissellent d'eau. Frocement, comme toujours, les clefs de M. Viot se dmnent. Terrible M. Viot, il a profit des vacances pour ajouter quelques articles son rglement et quelques clefs son trousseau. Le petit Chose n'a qu' bien se tenir.

Chaque jour il arrive des lves.... Clic! clac! On revoit devant la porte les chars bancs et les berlines de la distribution des prix.... Quelques anciens manquent l'appel, mais des nouveaux les remplacent. Les divisions se reforment. Cette anne, comme l'an dernier, le petit Chose aura l'tude des moyens. Le pauvre pion tremble dj. Aprs tout, qui sait? les enfants seront peut-tre moins mchants cette anne-ci.



VIII

L'AFFAIRE BOUCOYRAN

Personne ne se sentait en train, ni les matres, ni les lves. On s'installait.... Apres deux grands mois de repos le collge avait peine reprendre son va-et-vient habituel. Les rouages fonctionnaient mal, comme ceux d'une vieille horloge, qu'on aurait depuis longtemps [64] oubli de remonter. Peu peu, cependant, grce aux efforts de M. Viot, tout se rgularisa. Chaque jour, aux mmes heures, au son de la mme cloche, on vit de petites portes s'ouvrir dans les cours et des litanies d'enfants, roides comme des soldats de bois, dfiler deux par deux sous les arbres, puis la cloche sonnait encore,— ding! dong!—et les mmes enfants repassaient par les mmes petites portes! Ding! dong! Levez-vous. Ding! dong! Couchez-vous. Ding! dong! Instruisez-vous! Ding! dong! Amusez-vous. Et cela pour toute l'anne.

Les terribles moyens m'taient revenus de leurs montagnes, plus laids, plus pres, plus froces que jamais. De mon ct j'tais aigri; la maladie m'avait rendu nerveux et irritable; je ne pouvais plus rien supporter.... Trop doux l'anne prcdente, je fus trop svre cette anne....

Mes punitions, force d'tre prodigues, se dprcirent.... Un jour je me sentis dbord. Mon tude tait en pleine rvolte, et je n'avais plus de munitions pour faire tte l'meute. Je me vois encore dans ma chaire, me dbattant au milieu des cris, des pleurs, des grognements, des sifflements: "A la porte!... Cocorico!... kss!... kss!... Plus de tyrans!... C'est une injustice!..." Et les encriers pleuvaient, et les papiers mches s'pataient sur mon pupitre, et tous ces petits monstres,—sous prtexte de rclamations,— se pendaient par grappes ma chaire avec des hurlements de macaques.

Quelquefois, en dsespoir de cause, j'appelais M. Viot mon secours. Pensez quelle humiliation!

[65]

Quand il entrait dans l'tude brusquement, ses clefs la main, c'tait comme une pierre dans un tang de grenouilles: en un clin d'[oe]il tout le monde se retrouvait sa place, le nez sur les livres. On aurait entendu voler une mouche. M. Viot se promenait un moment de long en large, agitant son trousseau de ferraille, au milieu du grand silence; puis il me regardait ironiquement et se retirait sans rien dire.

J'tais trs malheureux. Les matres, mes collges, se moquaient de moi. Le principal, quand je le rencontrais, me faisait mauvais accueil. Pour m'achever survint l'affaire Boucoyran.

Quinze ans, de gros pieds, de gros yeux, de grosses mains, pas de front, et l'allure d'un valet de ferme: tel tait M. le marquis de Boucoyran, terreur de la cour des moyens et seul chantillon de la noblesse cvenole au collge de Sarlande. Le principal tenait beaucoup cet lve, en considration du vernis aristocratique que sa prsence donnait l'tablissement. Dans le collge on ne l'appelait que "le marquis". Tout le monde le craignait; moi-mme je subissais l'influence gnrale et je ne lui parlais qu'avec des mnagements.

Pendant quelque temps nous vcmes en assez bons termes.

M. le marquis avait bien par-ci par-l certaines faons impertinentes de me regarder ou de me rpondre, mais j'affectais de n'y point prendre garde, sentant que j'avais affaire forte partie.

Un jour, cependant, ce faquin de marquis se permit de rpliquer, en pleine tude, avec une insolence telle que je perdis toute patience.

[66]

— Monsieur de Boucoyran, lui dis-je en essayant de garder mon sang-froid, prenez vos livres et sortez sur-le-champ.

C'tait un acte d'autorit inou pour ce drle. Il en resta stupfait et me regarda, sans bouger de sa place, avec des gros yeux.

Je compris que je m'engageais dans une mchante affaire, mais j'tais trop avanc pour reculer.

— Sortez, monsieur de Boucoyran!... commandai-je de nouveau.

Les lves attendaient anxieux.... Pour la premire fois j'avais du silence.

A ma seconde injonction le marquis, revenu de sa surprise, me rpondt, il fallait voir de quel air:—"Je ne sortirai pas!"

Il y eut parmi toute l'tude un murmure d'admiration.

Je me levai dans ma chaire, indign.

— Vous ne sortirez pas, monsieur?... C'est ce que nous allons voir.

Et je descendis....

Dieu m'est tmoin qu'a ce moment-l toute ide de violence tait bien loin de moi; je voulais seulement intimider le marquis par la fermet de mon attitude; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit ricaner d'une faon si mprisante que j'eus le geste de le prendre au collet pour le faire sortir de son banc....

Le misrable tenait cache sous sa tunique une norme rgle en fer. A peine eus-je lev la main qu'il m'assna sur le bras un coup terrible. La douleur m'arracha un cri.

[67] Toute l'tude battit des mains.

— Bravo, marquis!

Pour le coup je perdis la tte. D'un bond je fus sur la table, d'un autre, sur le marquis; et alors, le prenant la gorge, je fis si bien, des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l'arrachai de sa place et qu'il s'en alla rouler hors de l'tude, jusqu'au milieu de la cour.... Ce fut l'affaire d'une seconde; je ne me serais jamais cru tant de vigueur.

Les lves taient consterns. On ne criait plus: "Bravo, marquis!" On avait peur. Boucoyran, le fort des forts, mis la raison par ce gringalet de pion! Quelle aventure!... Je venais de gagner en autorit ce que le marquis venait de perdre en prestige.

Quand je remontai dans ma chaire, ple encore et tremblant d'motion, tous les visages se penchrent vivement sur les pupitres. L'tude tait mate. Mais le principal, M. Viot, qu'allaient-ils penser de cette affaire? Comment! j'avais os lever la main sur un lve! sur le marquis de Boucoyran! sur le noble du collge! Je voulais donc me faire chasser!

Ces rflexions, qui me venaient un peu tard, me troublrent dans mon triomphe. J'eus peur mon tour. Je me disais: "C'est sr, le marquis est all se plaindre." Et d'une minute l'autre je m'attendais voir entrer le principal. Je tremblai jusqu' la fin de l'tude; pourtant personne ne vint.

A la rcration je fus trs tonn de voir Boucoyran rire et jouer avec les autres. Cela me rassura un peu; et, comme toute la journe se passa sans encombres, je [68] m'imaginai que mon drle se tiendrait coi et que j'en serais quitte pour la peur.

Par malheur le jeudi suivant tait jour de sortie. Le soir M. le marquis ne rentra pas au dortoir. J'eus comme un pressentiment, et je ne dormis pas de toute la nuit.

Le lendemain, la premire tude, les lves chuchotaient en regardant la place de Boucoyran qui restait vide. Sans en avoir l'air, je mourais d'inquitude.

Vers les sept heures, la porte s'ouvrit d'un coup sec. Tous les enfants se levrent.

J'tais perdu....

Le principal entra le premier, puis M. Viot derrire lui, puis enfin un grand vieux boutonn jusqu'au menton dans une longue redingote, et cravat d'un col de crin haut de quatre doigts. Celui-l, je ne le connaissais pas, mais je compris tout de suite que c'tait M. de Boucoyran le pre. Il tortillait sa longue moustache et bougonnait entre ses dents.

Je n'eus pas mme le courage de descendre de ma chaire pour faire honneur ces messieurs; eux non plus, en entrant, ne me salurent pas. Ils prirent position tous les trois au milieu de l'tude, et, jusqu' leur sortie, ne regardrent pas une seule fois de mon ct.

Ce fut le principal qui ouvrit le feu.

— Messieurs, dit-il en s'adressant aux lves, nous venons ici remplir une mission pnible, trs pnible. Un de vos matres s'est rendu coupable d'une faute si grave qu'il est de notre devoir de lui infliger un blme public.

[69]

L-dessus le voil parti m'infliger un blme qui dura au moins un grand quart d'heure. Tous les faits dnatur: le marquis tait le meilleur lve du collge; je l'avais brutalis sans raison, sans excuse. Enfin j'avais manqu tous mes devoirs.

Que rpondre ces accusations?

De temps en temps j'essayais de me dfendre. "Pardon, monsieur le principal!..." Mais le principal ne m'coutait pas, et il m'infligea son blme jusqu'au bout.

Apres lui M. de Boucoyran, le pre, prit la parole, et de quelle faon!... Un vritable rquisitoire. Malheureux pre! On lui avait presque assassin son enfant. Sur ce pauvre petit tre sans dfense on s'tait ru comme...comme...comment dirait-il?... comme un buffle, comme un buffle sauvage. L'enfant gardait le lit depuis deux jours. Depuis deux jours sa mre, en larmes, le veillait....

Ah! s'il avait eu affaire un homme, c'est lui, M. de Boucoyran le pre, qui se serait charg de venger son enfant! Mais On n'tait qu'un galopin dont il avait piti. Seulement qu'On se le tint pour dit: si jamais On touchait encore un cheveu de son fils, On se ferait couper les deux oreilles tout net....

Pendant ce beau discours les lves riaient sous cape, et les clefs de M. Viot frtillaient de plaisir. Debout dans sa chaire, ple de rage, le pauvre On coutait toutes ces injures, dvorait toutes ces humiliations et se gardait bien de rpondre. Si On avait rpondu, On aurait t chass du collge; et alors o aller?

[70]

Enfin, au bout d'une heure, quand ils furent sec d'loquence, ces trois messieurs se retirement. Derrire eux il se fit dans l'tude un grand brouhaha. J'essayai, mais vainement, d'obtenir un peu de silence; les enfants me riaient au nez. L'affaire Boucoyran avait achev de tuer mon autorit.

Oh! ce fut une terrible affaire!

Toute la ville s'en mut.... Au Petit-Cercle, au Grand-Cercle, dans les cafs, la musique, on ne parlait pas d'autre chose. Les gens bien informs donnaient des dtails faire dresser les cheveux. Il parait que ce matre d'tude tait un monstre, un ogre. Il avait tortur l'enfant avec des raffinements inous de cruaut. En parlant de lui on ne disait plus que "le bourreau".

Quand le jeune Boucoyran s'ennuya de rester au lit, ses parents l'installrent sur une chaise longue, au plus bel endroit de leur salon, et pendant huit jours ce fut travers ce salon une procession interminable. L'intressante victime tait l'objet de toutes les attentions.

Vingt fois de suite on lui faisait raconter son histoire, et chaque fois le misrable inventait quelque nouveau dtail. Les mres frmissaient; les vieilles demoiselles l'appelaient "pauvre ange"! et lui glissaient des bonbons. Le journal de l'opposition profita de l'aventure et fulmina contre le collge un article terrible au profit d'un tablissement religieux des environs....

Le principal tait furieux, et, s'il ne me renvoya pas, je ne le dus qu' la protection du recteur.... Hlas! il et mieux valu pour moi tre renvoy tout de suite. [71] Ma vie dans le collge tait devenue impossible. Les enfants ne m'coutaient plus; au moindre mot, ils me menaaient de faire comme Boucoyran, d'aller se plaindre leur pre. Je finis par ne plus m'occuper d'eux.

[In the terrible winter that followed, Le Petit Chose frequented a good deal the Caf Barbette. He took fencing lessons from Roger, who told him in confidence that he was deeply in love with a young lady, and asked him to write love-letters for him.]

IX

MON BON AMI LE MATRE D'ARMES

Un matin de ce triste hiver, comme il tait tomb beaucoup de neige pendant la nuit, les enfants n'avaient pas pu jouer dans les cours. Aussitt l'tude du matin finie, on les avait caserns tous ple-mle dans la salle, pour y prendre leur rcration l'abri du mauvais temps, en attendant l'heure des classes.

C'tait moi qui les surveillais.

Ce qu'on appelait la salle tait l'ancien gymnase du collge de la Marine. Imaginez quatre grands murs nus avec de petites fentres grilles; et l des crampons moiti arrachs, la trace encore visible des chelles, et, se balanant la matresse poutre du plafond, un norme anneau en fer au bout d'une corde.

[72]

Les enfants avaient l'air de s'amuser beaucoup l dedans. Ils couraient tout autour de la salle bruyamment, en faisant de la poussire. Quelques-uns essayaient d'atteindre l'anneau; d'autres, suspendus par les mains, criaient; cinq ou six, de temprament plus calme, mangeaient leur pain devant les fentres, en regardant la neige qui remplissait les rues et les hommes arms de pelles qui l'emportaient dans des tombereaux.

Mais tout ce tapage, je ne l'entendais pas.

Seui, dans un coin, les larmes aux yeux, je lisais une lettre, et les enfants auraient cet instant dmoli le gymnase de fond en comble que je ne m'en fusse pas aperu. C'tait une lettre de Jacques que je venais de recevoir; elle portait le timbre de Paris,—mon Dieu! oui, de Paris,—et voici ce qu'elle disait:

"Cher Daniel,

"Ma lettre va bien te surprendre. Tu ne te doutais pas, hein? que je fusse Paris depuis quinze jours. J'ai quitt Lyon sans rien dire personne, un coup de tte.... Que veux-tu? je m'ennuyais trop dans cette horrible ville, surtout depuis ton dpart.

"Je suis arriv ici avec trente francs et cinq ou six lettres de M. le cur de Saint-Nizier. Heureusement la Providence m'a protge tout de suite, et m'a fait rencontrer un vieux marquis chez lequel je suis entr comme secrtaire. Nous mettons en ordre ses mmoires; je n'ai qu' crire sous sa dicte, et je gagne cela cent francs par mois. Ce n'est pas brillant, comme tu vois; mais, tout compte fait, j'espre pouvoir envoyer de [73] temps en temps quelque chose la maison sur mes conomies.

"Ah! mon cher Daniel, la jolie ville que ce Paris! Ici,—du moins, —il ne fait pas toujours du brouillard; il pleut bien quelquefois, mais c'est une petite pluie gaie, mle de soleil et comme je n'en ai jamais vu ailleurs. Aussi je suis tout chang, si tu savais! je ne pleure plus du tout, c'est incroyable."

J'en tais l de la lettre, quand tout coup, sous les fentres, retentit le bruit sourd d'une voiture roulant dans la neige. La voiture s'arrta devant la porte du collge, et j'entendis les enfants crier tue-tte: "Le sous-prfet! le sous-prfet!"

Une visite de M. le sous-prfet prsageait videmment quelque chose d'extraordinaire. Il venait peine au collge de Sarlande une ou deux fois chaque anne, et c'tait alors comme un vnement. Mais pour le quart d'heure ce qui m'intressait avant tout, ce qui me tenait c[oe]ur plus que le sous-prfet de Sarlande et plus que Sarlande tout entier, c'tait la lettre de mon frre Jacques. Aussi, tandis que les lves, mis en gaiet, se culbutaient devant les fentres pour voir M. le sous-prfet descendre de voiture, je retournai dans mon coin, et je me remis lire.

"Tu sauras, mon bon Daniel, que notre pre est en Bretagne, o il fait le commerce du cidre pour le compte d'une compagnie. En apprenant que j'tais le secrtaire du marquis, il a voulu que je place quelques tonneaux de cidre chez lui. Par malheur le marquis ne boit que du vin, et du vin d'Espagne, encore! J'ai [74] crit cela au pre; sais-tu ce qu'il m'a rpondu:—Jacques, tu es un ne! — comme toujours. Mais c'est gal, mon cher Daniel, je crois qu'au fond il m'aime beaucoup.

"Quant maman, tu sais qu'elle est seule maintenant. Tu devrais bien lui crire, elle se plaint de ton silence.

"J'avais oubli de te dire une chose qui, certainement, te fera le plus grand plaisir: j'ai ma chambre au Quartier latin ... au Quartier latin! pense un peu!... une vraie chambre de pote, comme dans les romans, avec une petite fentre et des toits perte de vue. Le lit n'est pas large, mais nous y tiendrons deux au besoin; et puis, il y a dans un coin une table de travail o on serait trs bien pour faire des vers.

"Je suis sr que, si tu voyais cela, tu voudrais venir me trouver au plus vite; moi aussi je te voudrais prs de moi, et je ne te dis pas que quelque jour je ne te ferai pas signe de venir.

"En attendant, aime-moi toujours bien et ne travaille pas trop dans ton collge, de peur de tomber malade.

"Je t'embrasse. Ton frre, JACQUES."

A ce moment la cloche sonna. Mes lves se mirent en rang, ils causaient beaucoup du sous-prfet et se montraient en passant sa voiture stationnant devant la porte. Je les remis entre les mains des professeurs; puis, une fois dbarrass d'eux, je m'lanai en courant dans l'escalier. Il me tardait [75] tant d'tre seul dans ma chambre avec la lettre de mon frre Jacques!

— Monsieur Daniel, on vous attend chez le principal.

Chez le principal!... Que pouvait avoir me dire le principal?... Le portier me regardait avec un drle d'air. Tout coup l'ide du sous-prfet me revint.

— Est-ce que M. le sous-prfet est l-haut? demandai-je.

Et le c[oe]ur palpitant d'espoir je me mis gravir les degrs de l'escalier quatre quatre.

Il y a des jours o l'on est comme fou. En apprenant que le sous-prfet m'attendait, savez-vous ce que j'imaginai? Je m'imaginai qu'il avait remarqu ma bonne mine la distribution, et qu'il venait au collge tout exprs pour m'offrir d'tre son secrtaire. Cela me paraissait la chose la plus naturelle du monde. La lettre de Jacques avec ses histoires de vieux marquis m'avait troubl la cervelle, coup sur.

Quoi qu'il en soit, mesure que je montais l'escalier, ma certitude devenait plus grande: secrtaire du sous-prfet; je ne me sentais pas de joie....

En tournant le corridor, je rencontrai Roger. Il tait trs ple; il me regarda comme s'il voulait me parler; mais je ne m'arrtai pas: le sous-prfet n'avait pas le temps d'attendre.

Quand j'arrivai devant le cabinet du principal, le c[oe]ur me battait bien fort, je vous jure. Secrtaire de M. le sous-prfet! Il fallut m'arrter un instant pour reprendre haleine; je rajustai ma cravate, je donnai avec mes doigts un petit tour mes cheveux et je tournai le bouton de la porte doucement.

[76]

Si j'avais su ce qui m'attendait!

M. le sous-prfet tait debout, appuy ngligemment au marbre de la chemine et souriant dans ses favoris blonds. M. le principal, en robe de chambre, se tenait prs de lui humblement, son bonnet de velours la main, et M. Viot, appel en hte, se dissimulait dans un coin.

Ds que j'entrai, le sous-prfet prit la parole.

— C'est donc Monsieur, dit-il en me dsignant, qui s'amuse crire nos femmes de chambre?

Il avait prononc cette phrase d'une voix claire, ironique et sans cesser de sourire. Je crus d'abord qu'il voulait plaisanter et je ne rpondis rien, mais le sous-prfet ne plaisantait pas; aprs un moment de silence, il reprit en souriant toujours:

— N'est-ce pas monsieur Daniel Eyssette que j'ai l'honneur de parler, monsieur Daniel Eyssette qui a crit la femme de chambre de ma femme?

Je ne savais de quoi il s'agissait; mais en entendant ce mot de femme de chambre, qu'on me jetait ainsi la figure pour la seconde fois, je me sentis rouge de honte, et ce fut avec une vritable indignation que je m'criai:

— Une femme de chambre, moi!...

A cette rponse, je vis un clair de mpris jaillir des lunettes du principal, et j'entendis les clefs murmurer dans leur coin: "Quelle effronterie!"

Le sous-prfet, lui, ne cessait pas de sourire; il prit sur la tablette de la chemine un petit paquet de papiers que je n'avais pas aperus d'abord, puis se tournant vers moi et les agitant ngligemment:

— Monsieur, dit-il, voici des tmoignages fort [77] graves qui vous accusent. Ce sont des lettres qu'on a surprises chez la demoiselle en question. Elles ne sont pas signes, il est vrai, et, d'un autre ct, la femme de chambre n'a voulu nommer personne. Seulement dans ces lettres il est souvent parl du collge, et, malheureusement pour vous, M. Viot a reconnu votre criture et votre style....

Ici les clefs grincrent frocement et le sous-prfet, souriant toujours, ajouta:

— Tout le monde n'est pas pote au collge de Sarlande.

A ces mots une ide fugitive me traversa l'esprit: je voulus voir de prs ces papiers, je m'lanai; le principal eut peur d'un scandale et fit un geste pour me retenir. Mais le sous-prfet me tendit le dossier tranquillement.

— Regardez! me dit-il.

Misricorde! ma correspondance avec Ccilia.

— Eh bien! qu'en dites-vous, seigneur don Juan? ricana le sous-prfet, aprs un moment de silence. Est-ce que ces lettres sont de vous, oui ou non?

Au lieu de rpondre, je baissai la tte. Un mot pouvait me disculper; mais ce mot, je ne le prononai pas. J'tais prt tout souffrir plutt que de dnoncer Roger.... Car remarquez bien qu'au milieu de cette catastrophe le petit Chose n'avait pas un seul instant souponn la loyaut de son ami. En reconnaissant les lettres, il s'tait dit tout de suite: "Roger aura eu la paresse de ne pas les recopier; il a mieux aim faire une partie de billard de plus et envoyer les miennes." Quel innocent, ce petit Chose!

[78]

Quand le sous-prfet vit que je ne voulais pas rpondre, il remit les lettres dans sa poche, et, se tournant vers le principal et son acolyte:

— Maintenant, messieurs, vous savez ce qui vous reste faire.

Sur quoi les clefs de M. Viot frtillrent d'un air lugubre, et le principal rpondit, en s'inclinant jusqu' terre, "que M. Eyssette avait mrit d'tre chass sur l'heure, mais qu'afin d'viter tout scandale, on le garderait au collge encore huit jours". Juste le temps de faire venir un nouveau matre.

A ce terrible mot "chass", tout mon courage m'abandonna. Je saluai sans rien dire, et je sortis prcipitamment. A peine dehors, mes larmes clatrent.... Je courus d'un trait jusqu' ma chambre, en touffant mes sanglots dans mon mouchoir....

Roger m'attendait; il avait l'air fort inquiet et se promenait grands pas, de long en large.

En me voyant entrer, il vint vers moi:

— Monsieur Daniel!... me dit-il, et son [oe]il m'interrogeait. Je me laissai tomber sur une chaise sans rpondre.

— Des pleurs, des enfantillages! reprit le matre d'armes d'un ton brutal, tout cela ne prouve rien. Voyons... vite!... Que s'est-il pass?

Alors je lui racontai dans tous ses dtails toute l'horrible scne du cabinet.

A mesure que je parlais, je voyais la physionomie de Roger s'claircir; il ne me regardait plus du mme air rogue, et la fin, quand il eut appris comment, pour ne pas le trahir, je m'tais laiss chasser du [79] collge, il me tendit ses deux mains ouvertes et me dit simplement:

— Daniel, vous tes un noble c[oe]ur.

A ce moment nous entendmes dans la rue le roulement d'une voiture; c'tait le sous-prfet qui s'en allait.

— Vous tes un noble c[oe]ur, reprit mon bon ami le matre d'armes en me serrant les poignets les briser, vous tes un noble c[oe]ur, je ne vous dis que a.... Mais vous devez comprendre que je ne permettrai personne de se sacrifier pour moi.

Tout en parlant, il s'tait rapproch de la porte:

— Ne pleurez pas, monsieur Daniel, je vais aller trouver le principal, et je vous jure bien que ce n'est pas vous qui serez chass.

Il fit encore un pas pour sortir; puis, revenant vers moi comme s'il oubliait quelque chose:

— Seulement, me dit-il voix basse, coutez bien ceci avant que je m'en aille.... Le grand Roger n'est pas seul au monde; il quelque part une mre infirme, dans un coin.... Une mre!... pauvre sainte femme.... Promettez-moi de lui crire quand tout sera fini.

C'tait dit gravement, tranquillement, d'un ton qui m'effraya.

— Mais que voulez-vous faire? m'criai-je.

Roger ne rpondit rien; seulement il entr'ouvrit sa veste et me laissa voir dans sa poche la crosse luisante d'un pistolet.

Je m'lanai vers lui, tout mu:

— Vous tuer, malheureux, vous voulez vous tuer?

[80]

Et lui, trs froidement:

— Mon cher, quand j'tais au service, je m'tais promis que si jamais, par un coup de ma mauvaise tte, je venais me faire dgrader, je ne survivrais pas mon dshonneur. Le moment est venu de me tenir parole....

En entendant cela, je me plantai rsolument devant la porte.

— Eh bien, non! Roger, vous ne sortirez pas.... J'aime mieux perdre ma place que d'tre cause de votre mort.

— Laissez moi faire mon devoir, me dit-il d'un air farouche, et, malgr mes efforts, il parvint entrouvrir la porte.

Alors j'eus l'ide de lui parler de sa mre, de cette pauvre mre qu'il avait quelque part, dans un coin. Je lui prouvai qu'il devait vivre pour elle, que moi j'tais mme de trouver facilement une autre place, que d'ailleurs, dans tous les cas, nous avions encore huit jours devant nous, et que c'tait bien le moins qu'on attendit jusqu'au dernier moment avant de prendre un parti si terrible.... Cette dernire rflexion parut le toucher. Il consentit retarder de quelques heures sa visite au principal et ce qui devait s'ensuivre.

Sur ces entrefaites la cloche sonna; nous nous embrassmes, et je descendis l'cole.

Ce que c'est que de nous! J'tais entr dans ma chambre dsespr, j'en sortis presque joyeux.... Le petit Chose tait si fier d'avoir sauv la vie son bon ami le matre d'armes!

Pourtant, il faut bien le dire, une fois assis dans ma chaire et le premier [81] mouvement de l'enthousiasme pass, je me mis faire des rflexions. Roger consentait vivre, c'tait bien; mais moi-mme, qu'allais-je devenir aprs que mon beau dvouement m'aurait mis la porte du collge?

La situation n'tait pas gaie, je voyais dj le foyer singulirement compromis, ma mre en larmes, et M. Eyssette bien en colre. Heureusement je pensai Jacques; quelle bonne ide sa lettre avait eue d'arriver prcisment le matin! C'tait bien simple, aprs tout; ne m'crivait-il pas que dans son lit il y avait place pour deux? D'ailleurs, Paris, on trouve toujours de quoi vivre....

Ici, une pense horrible m'arrta: pour partir il fallait de l'argent; celui du chemin de fer d'abord, puis cinquante-huit francs que je devais au portier, puis dix francs qu'un grand m'avait prts, puis des sommes normes inscrites mon nom sur le livre de compte du caf Barbette. Le moyen de se procurer tout cet argent?

— Bah! me dis-je en y songeant, je me trouve bien naf de m'inquiter pour si peu; Roger n'est-il pas l? Roger est riche, il donne des leons en ville, et il sera trop heureux de me procurer quelque cent francs, moi qui viens de lui sauver la vie.

Mes affaires ainsi rgles, j'oubliai toutes les catastrophes de la journe pour ne songer qu' mon grand voyage de Paris. J'tais trs joyeux, je ne tenais plus en place, et M. Viot, qui descendit l'tude pour savourer mon dsespoir, eut l'air fort du en voyant ma mine rjouie. A dner, je mangeai vite et bien; dans la cour, [82] je pardonnai les arrts des lves. Enfin l'heure de la classe sonna.

Le plus pressant tait de voir Roger; d'un bond je fus sa chambre; personne sa chambre. "Bon! me dis-je en moi-mme, il sera all faire un tour au caf Barbette", et cela ne m'tonna pas dans des circonstances aussi dramatiques.

Au caf Barbette personne encore: "Roger, me dit-on, tait all la Prairie avec les sous-officiers." Que diable pouvaient-ils faire l-bas par un temps pareil? Je commenais tre fort inquiet; aussi, sans vouloir accepter une partie de billard qu'on m'offrait, je relevai le bas de mon pantalon et je m'lanai dans la neige, du ct de la Prairie, la recherche de mon bon ami le matre d'armes.

X

L'ANNEAU DE FER

Des portes de Sarlande la Prairie il y bien une bonne demi-lieue, mais, du train dont j'allais, je dus ce jour-l faire le trajet en moins d'un quart d'heure. Je tremblais pour Roger. J'avais peur que le pauvre garon n'et, malgr sa promesse, tout racont au principal pendant l'tude; je croyais voir encore luire la crosse de son pistolet. Cette pense lugubre me donnait des ailes.

Pourtant, de distance en distance, j'apercevais sur la [83] neige la trace de pas nombreux allant vers la Prairie, et de songer que le matre d'armes n'tait pas seul, cela me rassurait un peu.

Alors, ralentissant ma course, je pensais Paris, Jacques, mon dpart.... Mais au bout d'un instant mes terreurs recommenaient.

— Roger va se tuer videmment. Que serait-il venu chercher, sans cela, dans cet endroit dsert, loin de la ville? S'il amne avec lui ses amis du caf Barbette, c'est pour leur faire ses adieux, pour boire le coup de l'trier, comme ils disent.... Oh! ces militaires!... Et me voil courant de nouveau perdre haleine.

Heureusement j'approchais de la Prairie dont j'apercevais dj les grands arbres chargs de neige. "Pauvre ami, me disais-je, pourvu que j'arrive temps!"

La trace des pas me conduisit ainsi jusqu' la guinguette d'Espron.

Cette guinguette tait un endroit louche et de mauvais renom, o les dbauchs de Sarlande faisaient leurs parties fines. J'y tais venu plus d'une fois en compagnie des nobles c[oe]urs, mais jamais je ne lui avais trouv une physionomie aussi sinistre que ce jour-l. Jaune et sale, au milieu de la blancheur immacule de la plaine, elle se drobait, avec sa porte basse, ses murs dcrpis et ses fentres aux vitres mal laves, derrire un taillis de petits ormes. La maisonnette avait l'air honteuse du vilain mtier qu'elle faisait.

Comme j'approchais, j'entendis un bruit joyeux de voix, de rires et de verres choqus.

— Grand Dieu! me dis-je en frmissant, c'est le [84] coup de l'trier. Et je m'arrtai pour reprendre haleine.

Je me trouvais alors sur le Derrire de la guinguette; je poussai une porte claire-voie, et j'entrai dans le jardin. Quel jardin! Une grande haie dpouille, des massifs de lilas sans feuilles, des tas de balayures sur la neige, et des tonnelles toutes blanches qui ressemblaient des huttes d'esquimaux. Cela tait d'un triste faire pleurer.

Le tapage venait de la salle du rez-de-chausse, et la ripaille devait chauffer ce moment, car, malgr le froid, on avait ouvert toutes grandes les deux fentres.

Je posais dj le pied sur la premire marche du perron, lorsque j'entendis quelque chose qui m'arrta net et me glaa: c'tait mon nom prononc au milieu de grands clats de rires. Roger parlait de moi, et, chose singulire, chaque fois que le nom de Daniel Eyssette revenait, les autres riaient se tordre.

Pouss par une curiosit douloureuse, sentant bien que j'allais apprendre quelque chose d'extraordinaire, je me rejetai en arrire et, sans tre entendu de personne, grce la neige qui assourdissait comme un tapis le bruit de mes pas, je me glissai dans une des tonnelles, qui se trouvait fort propos juste au-dessous des fentres.

Je la reverrai toute ma vie, cette tonnelle; je reverrai toute ma vie la verdure morte qui la tapissait, son sol boueux et sale, sa petite table peinte en vert et ses bancs de bois tout ruisselants d'eau.... A travers la neige dont elle tait charge, le jour passait peine; la [85] neige fondait lentement et tombait sur ma tte goutte goutte.

C'est l, c'est dans cette tonnelle noire et froide comme un tombeau que j'ai appris combien les hommes peuvent tre mchants et lches; c'est l que j'ai appris douter, mpriser, har.... vous qui me lisez, Dieu vous garde d'entrer jamais dans cette tonnelle!... Debout, retenant mon souffle, rouge de colre et de honte, j'coutais ce qui se disait chez Espron.

Mon bon ami le matre d'armes avait toujours la parole.... Il racontait l'aventure de Ccilia, la correspondance amoureuse, la visite de M. le sous-prfet au collge, tout cela avec des enjolivements et des gestes qui devaient tre bien comiques, en juger par les transports de l'auditoire.

— Vous comprenez, mes petits amours, disait-il de sa voix goguenarde, qu'on n'a pas jou pour rien la comdie pendant trois ans sur le thtre des zouaves. Vrai comme je vous parle! j'ai cru un moment la partie perdue, et je me suis dit que je ne viendrais plus boire avec vous le bon vin du pre Espron.... Le petit Eyssette n'avait rien dit, c'est vrai; mais il tait temps de parler encore, et, entre nous, je crois qu'il voulait seulement me laisser l'honneur de me dnoncer moi-mme. Alors je me suis dit: "Ayons l'[oe]il, Roger, et en avant la grande scne!"

L-dessus mon bon ami le matre d'armes se mit jouer ce qu'il appelait la grande scne, c'est—dire ce qui s'tait pass le matin dans ma chambre entre lui et moi. Ah! le misrable! il n'oublia rien.... Il criait: Ma mre! ma pauvre mre! avec des intonations de [86] thtre. Puis il imitait ma voix: "Non, Roger! non! vous ne sortirez pas!..." La grande scne tait rellement d'un haut comique, et tout l'auditoire se roulait. Moi, je sentais de grosses larmes ruisseler le long de mes joues, j'avais le frisson, les oreilles me tintaient, je devinais toute l'odieuse comdie du matin, je comprenais vaguement que Roger avait fait exprs d'envoyer mes lettres pour se mettre l'abri de toute msaventure, que depuis vingt ans sa mre, sa pauvre mre, tait morte, et que j'avais pris l'tui de sa pipe pour une crosse de pistolet.

— Et la belle Ccilia? dit un noble c[oe]ur.

— Ccilia n'a pas parl, elle a fait ses malles, c'est une bonne fille.

— Et le petit Daniel, que va-t-il devenir?

— Bah! rpondit Roger.

Ici, un geste qui fit rire tout le monde.

Cet clat de rire me mit hors de moi. J'eus envie de sortir de la tonnelle et d'apparatre soudainement au milieu d'eux comme un spectre. Mais je me contins: j'avais dj t assez ridicule.

Le rti arrivait, les verres se choqurent:

— A Roger! Roger! criait-on.

Je n'y tins plus, je souffrais trop. Sans m'inquiter si quelqu'un pouvait me voir, je m'lanai travers le jardin. D'un bond je franchis la porte claire-voie et je me mis courir devant moi comme un fou.

La nuit tombait, silencieuse; et cet immense champ de neige prenait dans la demi-obscurit du crpuscule je ne sais quel aspect de profonde mlancolie.

Je courus ainsi quelque temps comme un cabri [87] bless; et si les c[oe]urs qui se brisent et qui saignent taient autre chose que des faons de parler, l'usage des potes, je vous jure qu'on aurait pu trouver derrire moi, sur la plaine blanche, une longue trace de sang.

Je me sentais perdu. O trouver de l'argent? Comment m'en aller? Comment rejoindre mon frre Jacques? Dnoncer Roger ne m'aurait mme servi de rien.... Il pouvait nier, maintenant que Ccilia tait partie.

Enfin accabl, puis de fatigue et de douleur, je me laissai tomber dans la neige au pied d'un chtaignier. Je serais rest l jusqu'au lendemain peut-tre, pleurant et n'ayant pas la force de penser, quand tout coup, bien loin, bien loin, du ct de Sarlande, j'entendis une cloche sonner. C'tait la cloche du collge. J'avais tout oubli; cette cloche me rappela la vie: il me fallait rentrer et surveiller la rcration des lves dans la salle.... En pensant la salle, une ide subite me vint. Sur-le-champ mes larmes s'arrtrent; je me sentis plus fort, plus calme. Je me levai, et, de ce pas dlibr de l'homme qui vient de prendre une irrvocable dcision, je repris le chemin de Sarlande.

Si vous voulez savoir quelle irrvocable dcision vient de prendre le petit Chose, suivez-le jusqu' Sarlande, travers cette grande plaine blanche; suivez-le dans les rues sombres et boueuses de la ville; suivez-le sous le porche du collge; suivez-le dans la salle pendant la rcration, et remarquez avec quelle singulire persistance il regarde le gros anneau de fer qui se balance au milieu; la rcration finie, suivez-le encore [88] jusqu' l'tude, montez avec lui dans sa chaire, et lisez par-dessus son paule cette lettre douloureuse qu'il est en train d'crire au milieu du vacarme et des enfants ameutes:

"Monsieur Jacques Eyssette, rue Bonaparte, Paris.

"Pardonne-moi, mon bien-aim Jacques, la douleur que je viens te causer. Toi qui ne pleurais plus, je vais te faire pleurer encore une fois; ce sera la dernire, par exemple.... Quand tu recevras cette lettre, ton pauvre Daniel sera mort...."

Ici le vacarme de l'tude redouble; le petit Chose s'interrompt et distribue quelques punitions de droite et de gauche, mais gravement, sans colre. Puis il continue:

"Vois-tu, Jacques, j'tais trop malheureux. Je ne pouvais pas faire autrement que de me tuer. Mon avenir est perdu: on m'a chass du collge; puis, j'ai fait des dettes, je ne sais plus travailler, j'ai honte, je m'ennuie, j'ai le dgot, la vie me fait peur.... J'aime mieux m'en aller....

"Adieu, Jacques! J'en aurais encore long te dire, mais je sens que je vais pleurer, et les lves me regardent. Dis maman que j'ai gliss du haut d'un rocher, en promenade, ou bien que je me suis noy en patinant. Enfin, invente une histoire, mais que la pauvre femme ignore toujours la vrit!... Embrasse-la bien pour moi, cette chre mre; embrasse aussi notre pre, et tche de leur reconstruire vite un beau foyer.... Adieu! je t'aime. Souviens-toi de Daniel."

[89] Cette lettre termine, le petit Chose en commence tout de suite une autre ainsi conue:

"Monsieur l'abb, je vous prie de faire parvenir mon frre Jacques la lettre que je laisse pour lui. En mme temps vous couperez de mes cheveux, et vous en ferez un petit paquet pour ma mre.

"Je vous demande pardon du mal que je vous donne. Je me suis tu parce que j'tais trop malheureux ici. Vous seul, monsieur l'abb, vous tes toujours montr trs bon pour moi. Je vous en remercie. DANIEL EYSSETTE."

Aprs quoi le petit Chose met cette lettre et celle de Jacques sous une mme grande enveloppe, avec cette suscription: "La personne qui trouvera la premire mon cadavre est prie de remettre ce pli entre les mains de l'abb Germane." Puis, toutes ses affaires termines, il attend tranquillement la fin de l'tude.

L'tude est finie. On soupe, on fait la prire, on monte au dortoir.

Les lves se couchent; le petit Chose se promne de long en large, attendant qu'ils soient endormis. Voici maintenant M. Viot qui fait sa ronde; on entend le cliquetis mystrieux de ses clefs et le bruit sourd de ses chaussons sur le parquet.—"Bonsoir, monsieur Viot!" murmure le petit Chose.—"Bonsoir, monsieur!" rpond voix basse le surveillant; puis il s'loigne, ses pas se perdent dans le corridor.

Le petit Chose est seul. Il ouvre la porte doucement et s'arrte un instant sur le palier pour voir si les [90] lves ne se rveillent pas; mais tout est tranquille dans le dortoir.

Alors il descend, il se glisse petits pas dans l'ombre des murs. La tramontane souffle tristement par-dessous les portes. Au bas de l'escalier, en passant devant le pristyle, il aperoit la cour blanche de neige, entre ses quatre grands corps de logis tout sombres.

L-haut, prs des toits, veille une lumire: c'est l'abb Germane qui travaille son grand ouvrage. Du fond de son c[oe]ur le petit Chose envoie un dernier adieu, bien sincre ce bon abb; puis il entre dans la salle....

Le vieux gymnase de l'cole de marine est plein d'une ombre froide et sinistre. Par les grillages d'une fentre un peu de lune descend et vient donner en plein sur le gros anneau de fer,—oh! cet anneau, le petit Chose ne fait qu'y penser depuis des heures,—sur le gros anneau de fer qui reluit comme de l'argent.... Dans un coin de la salle un vieil escabeau dormait. Le petit Chose va le prendre, le porte sous l'anneau, et monte dessus; il ne s'est pas tromp, c'est juste la hauteur qu'il faut. Alors il dtache sa cravate, une longue cravate en soie violette qu'il porte chiffonne autour de son cou, comme un ruban. Il attache la cravate l'anneau et fait un n[oe]ud coulant.... Une heure sonne. Allons! il faut mourir.... Avec des mains qui tremblent le petit Chose ouvre le n[oe]ud coulant. Une sorte de fivre le transporte. Adieu, Jacques! Adieu, Mme Eyssette!...

Tout coup un poignet de fer s'abat sur lui. Il se sent saisi par le milieu du corps et plant debout sur ses pieds, au bas de l'escabeau. En mme temps une voix [91] rude et narquoise, qu'il connat bien, lui dit: "En voil une ide, de faire du trapze cette heure!"

Le petit Chose se retourne, stupfait.

C'est l'abb Germane, l'abb Germane sans sa soutane, en culotte courte, avec son rabat flottant sur son gilet. Sa belle figure laide sourit tristement, demi claire par la lune.... Une seule main lui suffi pour mettre le suicid par terre; de l'autre main il tient encore sa carafe, qu'il vient de remplir la fontaine de la cour.

De voir la tte effare et les yeux pleins de larmes du petit Chose, l'abb Germane cess de sourire, et il rpte, mais cette fois d'une voix douce et presque attendrie:

— Quelle drle d'ide, mon cher Daniel, de faire du trapze cette heure!

Le petit Chose est tout rouge, tout interdit.

— Je ne fais pas du trapze, monsieur l'abb, je veux mourir.

— Comment!... mourir?... Tu as donc bien du chagrin?

— Oh!... rpond le petit Chose avec de grosses larmes brlantes qui roulent sur ses joues.

— Daniel, tu vas venir avec moi, dit l'abb.

Le petit Daniel fait signe que non et montre l'anneau de fer avec la cravate.... L'abb Germane le prend par la main: "Voyons! monte dans ma chambre; si tu veux te tuer, eh bien! tu te tueras l-haut: il y du feu, il fait bon."

Mais le petit Chose rsiste: "Laissez-moi mourir, monsieur l'abb. Vous n'avez pas le droit de m'empcher de mourir."

[92]

Un clair de colre passe dans les yeux du prtre: "Ah! c'est comme cela!" dit-il. Et prenant brusquement le petit Chose par la ceinture, il l'emporte sous son bras comme un paquet, malgr sa rsistance et ses supplications....

Nous voici maintenant chez l'abb Germane: un grand feu brille dans la chemine; prs du feu, il y a une table avec une lampe allume, des pipes et des tas de papier chargs de pattes de mouche.

Le petit Chose est assis au coin de la chemine. Il est trs agit, il parle beaucoup, il raconte sa vie, ses malheurs et pourquoi il a voulu en finir. L'abb l'coute en souriant; puis, quand l'enfant a bien parl, bien pleur, bien dgonfl son pauvre c[oe]ur malade, le brave homme lui prend les mains et lui dit trs tranquillement:

— Tout cela n'est rien, mon garon, et tu aurais t joliment bte de te mettre mort pour si peu. Ton histoire est fort simple: on t'a chass du collge,—ce qui, par parenthse, est un grand bonheur pour toi.... —eh bien! il faut partir, partir tout de suite, sans attendre tes huit jours.... Ton voyage, tes dettes, ne t'en inquite pas! je m'en charge.... L'argent que tu voulais emprunter ce coquin, c'est moi qui te le prterai. Nous rglerons tout cela demain.... A prsent plus un mot! j'ai besoin de travailler, et tu as besoin de dormir.... Seulement je ne veux pas que tu retournes dans ton affreux dortoir: tu aurais froid, tu aurais peur; tu vas te coucher dans mon lit de beaux draps blancs de ce matin!... Moi, j'crirai toute la nuit, et si le sommeil me prend, je m'tendrai sur le canap.... Bonsoir! ne me parle plus.

[93]

Le petit Chose se couche, il ne rsiste pas.... Tout ce qui lui arrive lui fait l'effet d'un rve. Que d'vnements dans une journe! Avoir t si prs de la mort, et se retrouver au fond d'un bon lit, dans cette chambre tranquille et tide!... Comme le petit Chose est bien!... De temps en temps, en ouvrant les yeux, il voit sous la clart douce de l'abat-jour le bon abb Germane qui, tout en fumant, fait courir sa plume, petit bruit, du haut en bas des feuilles blanches....

...Je fus rveill le lendemain matin par l'abb qui me frappait sur l'paule. J'avais tout oubli en dormant.... Cala fit beaucoup rire mon sauveur.

— Allons! mon garon, me dit-il, la cloche sonne, dpche-toi; personne ne se sera aperu de rien, va prendre tes lves comme l'ordinaire; pendant la rcration du djeuner je t'attendrai ici pour causer.

La mmoire me revint tout d'un coup. Je voulais le remercier; mais positivement le bon abb me mit la porte.

Si l'tude me parut longue, je n'ai pas besoin de vous le dire.... Les lves n'taient pas encore dans la cour, que dj je frappais chez l'abb Germane. Je le retrouvai devant son bureau, les tiroirs grands ouverts, occup compter des pices d'or, qu'il alignait soigneusement par petits tas.

Au bruit que je fis en rentrant il retourna la tte, puis se remit son travail, sans rien me dire; quand il eut fini, il referma ses tiroirs, et me faisant signe de la main avec un bon sourire:

— Tout ceci est pour toi, me dit-il. J'ai fait ton compte. Voici pour le voyage, voici pour le portier, voici pour le caf Barbette, [94] voici pour l'lve qui t'a prt dix francs.... J'avais mis cet argent de ct pour faire un remplaant Cadet; mais Cadet ne tire au sort que dans six ans, et d'ici l nous nous serons revus.

Je voulus parler, mais ce diable d'homme ne m'en laissa pas le temps: "A prsent, mon garon, fais-moi tes adieux... voil ma classe qui sonne, et quand j'en sortirai, je ne veux plus te retrouver ici. L'air de cette Bastille ne te vaut rien.... File vite Paris, travaille bien, prie le Bon Dieu, fume des pipes, et tche d'tre un homme. —Tu m'entends, tche d'tre un homme. —Car vois-tu! mon petit Daniel, tu n'es encore qu'un enfant, et mme j'ai bien peur que tu ne sois un enfant toute ta vie."

L-dessus il m'ouvrit les bras avec un sourire divin; mais, moi, je me jetai ses genoux en sanglotant. Il me releva et m'embrassa sur les deux joues.

La cloche sonnait le dernier coup.

— Bon! voil que je suis en retard, dit-il en rassemblant la hte ses livres et ses cahiers. Comme il allait sortir, il se retourna encore vers moi:

— J'ai bien un frre Paris, moi aussi, un brave homme de prtre, que tu pourrais aller voir.... Mais, bah! moiti fou comme tu l'es, tu n'aurais qu' oublier son adresse....—Et, sans en dire davantage, il se mit descendre l'escalier grands pas. Sa soutane flottait derrire lui; de la main droite il tenait sa calotte, et, sous le bras gauche, il portait un gros paquet de papiers et de bouquins.... Bon abb Germane! Avant de m'en aller, je jetai un dernier regard autour de sa chambre; je contemplai une dernire fois la grande [95] bibliothque, la petite table, le feu demi teint, le fauteuil o j'avais tant pleur, le lit o j'avais dormi si bien; et, songeant cette existence mystrieuse dans laquelle je devinais tant de courage, de bont cache, de dvouement et de rsignation, je ne pus m'empcher de rougir de mes lchets, et je me fis le serment de me rappeler toujours l'abb Germane.

En attendant, le temps passait.... J'avais ma malle faire, mes dettes payer, ma place retenir la diligence....

Au moment de sortir, j'aperus sur un coin de la chemine plusieurs vieilles pipes toutes noires. Je pris la plus vieille, la plus noire, la plus courte, et je la mis dans ma poche comme une relique; puis je descendis.

En bas, la porte du vieux gymnase tait encore entr'ouverte. Je ne pus m'empcher d'y jeter un regard en passant, et ce que je vis me fit frissonner.

Je vis la grande salle sombre et froide, l'anneau de fer qui reluisait, et ma cravate violette, avec son n[oe]ud coulant, qui se balanait dans le courant d'air au-dessus de l'escabeau renvers.



XI

LES CLEFS DE M. VIOT

Comme je sortais du collge grandes enjambes, encore tout mu de l'horrible spectacle que je venais d'avoir, la loge du portier s'ouvrit brusquement, et j'entendis qu'on m'appelait:

[96]

— Monsieur Eyssette! monsieur Eyssette!

C'tait le matre du caf Barbette et son digne ami M. Cassagne, l'air effar, presque insolents.

Le cafetier parla le premier.

— Est-ce vrai que vous partez, monsieur Eyssette?

— Oui, monsieur Barbette, rpondis-je tranquillement, je pars aujourd'hui mme.

M. Barbette fit un bond, M. Cassagne en fit un autre; mais le bond de M. Barbette fut bien plus fort que celui de M. Cassagne, parce que je lui devais beaucoup d'argent.

— Comment! aujourd'hui mme!

— Aujourd'hui mme, et je cours de ce pas retenir ma place la diligence.

Je crus qu'ils allaient me sauter la gorge.

— Et mon argent? dit M. Barbette.

— Et le mien? hurla M. Cassagne.

Sans rpondre, j'entrai dans la loge, et tirant gravement, pleines mains, les belles pices d'or de l'abb Germane, je me mis leur compter sur le bout de la table ce que je leur devais tous les deux.

Ce fut un coup de thtre! Les deux figures renfrognes se dridrent, comme par magie.... Quand ils eurent empoch leur argent, un peu honteux des craintes qu'ils m'avaient montres, et tout joyeux d'tre pays, ils s'panchrent en compliments de condolance et en protestations d'amiti:

— Vraiment, monsieur Eyssette, vous nous quittez? Oh! quel dommage! Quelle perte pour la maison!

Et puis des oh! des ah! des hlas! des soupirs, des poignes de main, des larmes toffes....

[97]

La veille encore j'aurais pu me laisser prendre ces dehors d'amiti, mais maintenant j'tais ferr glace sur les questions de sentiment.

Le quart d'heure pass sous la tonnelle m'avait appris connatre les hommes,—du moins je le croyais ainsi,—et plus ces affreux gargotiers se montraient affables, plus ils m'inspiraient de dgot. Aussi, coupant court leurs effusions ridicules, je sortis du collge et m'en allai bien vite retenir ma place la bienheureuse diligence qui devait m'emporter loin de tous ces monstres.

En revenant du bureau des messageries, je passai devant le caf Barbette, mais je n'entrai pas; l'endroit me faisait horreur. Seulement, pouss par je ne sais quelle curiosit malsaine, je regardai travers les vitres.... Le caf tait plein de monde. Les nobles c[oe]urs taient au complet, il ne manquait que le matre d'armes.

Je regardai un moment ces grosses faces rouges je m'enfuis....

Or, comme je m'acheminais vers le collge, suivi d'un homme de la diligence pour emporter ma malle, je vis venir sur la place le matre d'armes, smillant, une badine la main, le feutre sur l'oreille, mirant sa moustache fine dans ses belles bottes vernies.... De loin je le regardais avec admiration en me disant: "Quel dommage qu'un si bel homme porte une si vilaine me!..." Lui, de son ct, m'avait aperu et venait vers moi avec un bon sourire bien loyal et deux grands bras ouverts....

— Je vous cherchais, me dit-il.... Qu'est-ce que j'apprends? Vous...

[98]

Il s'arrta net. Mon regard lui cloua ses phrases menteuses sur les lvres. Et dans ce regard qui le fixait d'aplomb, en face, le misrable dut lire bien des choses, car je le vis tout coup plir, balbutier, perdre contenance; mais ce ne fut que l'affaire d'un instant: il reprit aussitt son air flambant, planta dans mes yeux deux yeux froids et brillants comme l'acier, et, fourrant ses mains au fond de ses poches d'un air rsolu, il s'loigna en murmurant que ceux qui n seraient pas contents n'auraient qu' venir le lui dire.... Bandit, va!

Quand je rentrai au collge, les lves taient en classe. Nous montmes dans ma mansarde. L'homme chargea la malle sur ses paules et descendit. Moi, je restai encore quelques instants dans cette chambre glaciale, regardant les murs nus et salis, le pupitre noir tout dchiquet, et, par la fentre troite, les platanes des cours qui montraient leurs ttes couvertes de neige.... En moi-mme je disais adieu tout ce monde.

A ce moment j'entendis une voix de tonnerre qui grondait dans les classes: c'tait la voix de l'abb Germane. Elle me rchauffa le c[oe]ur et fit venir au bord des cils quelques bonnes larmes.

Aprs quoi je descendis lentement, regardant attentif autour de moi, comme pour emporter dans mes yeux l'image, toute l'image, de ces lieux que je ne devais plus jamais revoir. C'est ainsi que je traversai les longs corridors hautes fentres grillages o les yeux noirs m'taient apparus pour la premire fois. Dieu vous protge, mes chers yeux noirs!... Je passai aussi [99] devant le cabinet du principal, avec sa double porte mystrieuse; puis, quelques pas plus loin, devant le cabinet de M. Viot.... L je m'arrtai subitement.... joie, dlices! les clefs, les terribles clefs pendaient la serrure, et le vent les faisait doucement frtiller. Je les regardai avec une sorte de terreur religieuse; puis, tout coup, une ide de vengeance me vint. Tratreusement, d'une main sacrilge, je retirai le trousseau de la serrure, et, le cachant sous ma redingote, je descendis l'escalier quatre quatre.

Il y avait au bout de la cour des moyens un puits trs profond. J'y courus d'une haleine.... A cette heure la cour tait dserte; la fe aux lunettes n'avait pas encore relev son rideau. Tout favorisait mon crime. Alors, tirant les clefs de dessous mon habit, ces misrables clefs qui m'avaient tant fait souffrir, je les jetai dans le puits de toutes mes forces.... Frinc! frinc! frinc! Je les entendis dgringoler, rebondir contre les parois, et tomber lourdement dans l'eau qui se referma sur elles; ce forfait commis, je m'loignai souriant.

Sous le porche, en sortant du collge, la dernire personne que je rencontrai fut M. Viot, mais un M. Viot sans ses clefs, hagard, effar, courant de droite et de gauche. Quand il passa prs de moi, il me regarda un moment avec angoisse. Le malheureux avait envie de me demander si je ne les avais pas vues. Mais il n'osa pas.... A ce moment le portier lui criait du haut de l'escalier, en se penchant:

— Monsieur Viot, je ne les trouve pas!

J'entendis l'homme aux clefs faire tout bas:

[100]

— Oh! mon Dieu!

Et il partit comme un fou la dcouverte.

J'aurais t heureux de jouir plus longtemps de ce spectacle, mais le clairon de la diligence sonnait sur la place d'Armes, et je ne voulais pas qu'on partit sans moi.

Et maintenant, adieu pour toujours, grand collge enfum, fait de vieux fer et de pierres noires; adieu, vilains enfants! adieu, rglement froce! Le petit Chose s'envole et ne reviendra plus. Et vous, marquis de Boucoyran, estimez-vous heureux: on s'en va, sans vous allonger ce fameux coup d'pe, si longtemps mdit avec les nobles c[oe]urs du caf Barbette....

Fouette, cocher! Sonne, trompette! Bonne vieille diligence, fais feu de tes quatre roues, emporte le petit Chose au galop de tes trois chevaux.... Emporte-le bien vite dans sa ville natale, pour qu'il embrasse sa mre chez l'oncle Baptiste, et qu'ensuite il mette le cap sur Paris et rejoigne au plus vite Eyssette (Jacques) dans sa chambre du Quartier latin!...



XII

L'ONCLE BAPTISTE

Un singulier type d'homme que cet oncle Baptiste, le frre de Mme Eyssette! Ni bon ni mchant, mari de bonne heure un grand gendarme de femme avare et maigre qui lui faisait peur, ce vieil enfant n'avait [101] qu'une passion au monde: la passion du coloriage. Depuis quelque quarante ans il vivait entour de godets, de pinceaux, de couleurs, et passait son temps colorier des images de journaux illustrs. La maison tait pleine de vieilles Illustrations! de vieux Charivaris! de vieux Magasins pittoresques! de cartes gographiques! tout cela fortement enlumin. Mme dans ses jours de disette, quand la tante lui refusait de l'argent pour acheter des journaux images, il arrivait mon oncle de colorier des livres. Ceci est historique: j'ai tenu dans mes mains une grammaire espagnole que mon oncle avait mis en couleurs d'un bout l'autre, les adjectifs en bleu, les substantifs en rose, etc....

C'est entre ce vieux maniaque et sa froce moiti que Mme Eyssette tait oblige de vivre depuis six mois. La malheureuse femme passait toutes ses journes dans la chambre de son frre, assise ct de lui et s'ingniait tre utile. Elle essuyait les pinceaux, mettait de l'eau dans les godets.... Le plus triste, c'est que, depuis notre ruine, l'oncle Baptiste avait un profond mpris pour M. Eyssette, et que du matin au soir la pauvre mre tait condamne entendre dire: "Eyssette n'est pas srieux! Eyssette n'est pas srieux!" Ah! le vieil imbcile! il fallait voir de quel air sentencieux et convaincu il disait cela, en coloriant sa grammaire espagnole! Depuis j'en ai souvent rencontr dans la vie, de ces hommes soi-disant trs graves, qui passaient leur temps colorier des grammaires espagnoles et trouvaient que les autres n'taient pas srieux.

Tous ces dtails sur l'oncle Baptiste et l'existence lugubre que Mme Eyssette menait chez lui, je ne les [102] connus que plus tard; pourtant, ds mon arrive dans la maison, je compris que, quoi qu'elle en dit, ma mre ne devait pas tre heureuse.... Quand j'entrai, on venait de se mettre table pour le dner. Mme Eyssette bondit de joie en me voyant, et, comme vous pensez, elle embrassa son petit Chose de toutes ses forces. Cependant la pauvre mre avait l'air gne; elle parlait peu, —toujours sa petite voix douce et tremblante, les yeux dans son assiette. Elle faisait peine voir avec sa robe trique et toute noire.

L'accueil de mon oncle et de ma tante fut trs froid. Ma tante me demanda d'un air effray si j'avais dn. Je me htai de rpondre que oui.... La tante respira; elle avait trembl un instant pour son dner. Joli, le dner! des pois chiches et de la morue.

L'oncle Baptiste, lui, me demanda si nous tions en vacances.... Je rpondis que je quittais l'Universit, et que j'allais Paris rejoindre mon frre Jacques, qui m'avait trouv une bonne place. J'inventai ce mensonge pour rassurer la pauvre Mme Eyssette sur mon avenir, et puis aussi pour avoir l'air srieux aux yeux de mon oncle.

En apprenant que le petit Chose avait une bonne place, la tante Baptiste ouvrit de grands yeux.

— Daniel, dit-elle, il faudra faire venir ta mre Paris.... La pauvre chre femme s'ennuie loin de ses enfants; et puis, tu comprends! c'est une charge pour nous, et ton oncle ne peut pas toujours tre la vache lait de la famille.

— Le fait est, dit l'oncle Baptiste, la bouche pleine, que je suis la vache lait....

[103]

Cette expression de vache lait l'avait ravi, et il la rpta plusieurs fois avec la mme gravit....

Le dner fut long, comme entre vieilles gens. Ma mre mangeait peu, m'adressait quelques paroles et me regardait la drobe; ma tante la surveillait.

— Vois ta s[oe]ur! disait-elle son mari, la joie de retrouver Daniel lui coupe l'apptit. Hier elle a pris deux fois du pain, aujourd'hui une fois seulement.

Ah! chre madame Eyssette! comme j'aurais voulu vous emporter ce soir-l, comme j'aurais voulu vous arracher cette impitoyable vache lait, et son pouse; mais, hlas! je m'en allais au hasard moi-mme, ayant juste de quoi payer ma route, et je pensais bien que la chambre de Jacques n'tait pas assez grande pour nous tenir tous les trois. Encore si j'avais pu vous parler, vous embrasser mon aise; mais non! On ne nous laissa pas seuls une minute.... Rappelez-vous: tout de suite aprs dner l'oncle se remit sa grammaire espagnole, la tante essuyait son argenterie, et tous deux ils nous piaient du coin de l'[oe]il.... L'heure du dpart arriva, sans que nous eussions rien pu nous dire.

Aussi le petit Chose avait le c[oe]ur bien gros, quand il sortit de chez l'oncle Baptiste; et en s'en allant, tout seul, dans l'ombre de la grande avenue qui mne au chemin de fer, il se jura deux ou trois fois trs solennellement de se conduire dsormais comme un homme et de ne plus songer qu' reconstruire le foyer.



NOTES

Title. Le Petit Chose, 'Little What's-his-name,' or 'Little What-do-you-call-him': so also Monsieur Chose, Madame Chose.

Page 1. (chapter i. full=i)

2. Languedoc: an old province of the south of France, so called from the name given to the language of its inhabitants, who used the word oc as an affirmative, and were said to speak the langue d'oc as distinguished from the dialect spoken north of the Loire, which expressed the affirmative by ol and was called the langue d'ol.

5. Carmlites: nuns of the order of Mount Carmel. Their congregation was introduced into France in 1452.

13. aussi: note the inversion. In sentences beginning with aussi, 'therefore,' 'so'; peine, 'hardly'; peut-tre, 'perhaps'; toujours, 'still'; au moins, 'at least'; encore, 'yet,' 'even then,' and a few more, the interrogative form of the verb is used.

Page 2.

7. Marseille, 'Marseilles,' Note the difference in spelling. So also Lyon (p. 9 l. 8.)

qui lui emportait plus de quarante mile francs, 'who robbed him of more than 40,000 francs.' Why not plus que?

13. la grve des ourdisseuses, 'the strike of the warping-women.' La grve, originally='the strand,' 'beach.' La Place de Grve, situated on the banks of the Seine, was the Tyburn of ancient Paris. It was also in olden times the rendezvous for the unemployed, hence the meaning 'strike.' Cf. se mettre en grve, faire grve, les grvistes.

16. la Rvolution: i.e. the Revolution of February 24, 1848, which caused Louis-Philippe, 'king of the French,' to abdicate and a republic to be proclaimed.

17. coup de grce, 'the finishing stroke.' Learn the following:— p. 3 l. 23, tout coup, 'suddenly.' p. 5 l. 19, pour le coup, 'this time.' p. 21 l. 19, le coup de sonnette, 'the ring at the bell.' p. 72 l. 20, un coup de tte, 'a rash act.' p. 75 l. 18, coup sr, 'to be sure,' 'certainly.' p. 96 l. 22, un coup de thtre, 'a clap-trap, transformation scene.' p. 100 l. 12, un coup d'pe, 'a sword-thrust.'

18. partir de, 'from,' 'beginning from.'

ne battit plus que d'une aile, 'was on its last legs,' i.e. like a bird that is wounded and can fly with only one wing.

20. un mtier bas, 'one loom put aside.'

21. table d'impression, 'printing-block.'

24. du second: sc. tage.

25. condamne, 'shut up.' Pronounce condan.

27. agonisa, 'was on the verge of ruin.'

Page 3.

13. assister l'agonie: note assister qc., 'to be present at something'; assister qn., to help some one.' The original meaning of assister='to stand by,' 'to be present'; then 'to stand by a person,' i.e. 'to assist him.' Les assistants, 'those present,' or 'the bystanders.'

16. ma guise, 'to my heart's content.'

22. par exemple, 'however.' The meaning of this expression varies according to the context. It can mean 'however,' 'indeed,' 'well now,' 'to be sure,' 'bless me,' etc.

24-29. c'tait dans l'habitude . . tout ce qui l'entourait, 'his was usually a fiery, violent, immoderate nature, given to shouting, breaking and storming. In reality, he was an excellent man; quick, however, with his hands, loud in his speech, and prompted by an imperious desire to make all those around him tremble.'

31. qui s'en prendre, 'on whom to lay the blame.' Note the expletive use of en and cf.— en vouloir qn., 'to have a grudge against some one.' en venir aux mains, 'to come to blows.' il en est de mme de . ., 'it is the same with . .'

Page 4.

1. mistral: a dry cutting NW. wind which blows across the south coast of France. It is especially prevalent in the Rhone valley.

6. n'taient pas en odeur de saintet, 'were not looked upon with much favour.'

19. voix basse, 'in a whisper'; but haute voix, 'in a loud voice.'

23. mon grand frre l'abb, 'my big brother the clergyman,' i.e. Henri Daudet, professor at the College of the Assumption at Nmes. He died at the early age of twenty-four. The term abb originally meant the Superior of an abbey, then was extended to any ecclesiastic.

31. un singulier enfant que mon frre Jacques: i.e. mon frre Jacques tait un singulier enfant. Note the que of emphatic inversion. It is a very common type of construction. Cf. p. 73 l. 3, la jolie ville que ce Paris! p. 100 l. 22, un singulier type d'homme que cet oncle Baptiste!

Page 5.

2. les yeux rouges et la joue ruisselante: note the absence of a preposition corresponding to the English 'with.' It is a very characteristic French idiom.

12. que veux-tu, mon ami? 'how can we help it, my dear?' lit. 'what would you have (him do)?'

16. qu'avait cet trange garon: inversion frequently occurs in relative clauses, especially when the subject is longer than the verb.

18. dsolation, 'distress'; dsol, 'grieved,' 'disconsolate,' not 'desolate.'

19. c'est pour le coup . . son aise, 'this was a grand opportunity for him to sob to his heart's content.'

31. une douzaine d'annes: the suffix -aine added to numerals generally implies an approximate number; une quinzaine, 'about fifteen.'

Page 6.

5. mon fidle Vendredi: Robinson Crusoe's servant and companion.

12. je le jouais, 'I acted it.'

21. tenait son emploi, 'played his part.'

24. toujours est-il que, 'anyhow.' Cf. note, p. 1 l. 13.

28. j'en avais quelquefois le c[oe]ur boulevers, 'my courage was sometimes shaken.'

Page 7.

1. gros mots d'enfants de la rue, 'coarse expressions of the street arabs.'

3. en pleine table, 'before the whole table.' Cf.— p. 25 l. 11, en pleine montagne, 'right on the hill side, 'in the heart of the mountains.' p. 64 l. 20, en pleine rvolte, 'in open mutiny.' p. 65 l. 30, en pleine tude, 'before the whole class.' So also— en plein air, 'in the open air.' en pleine rue, 'in the middle of the street.' en plein hiver, 'in the depths of winter.'

11. ukase: a Russian term for an 'edict' or imperial order.

13. loge, 'porter's lodge.'

du ct de, 'somewhere about,' 'in the direction of.' Note this use of de of motion 'towards,' and cf. de mon ct (p. 8. l. 12), du ct de sa chre fabrique (p. 10 l. 6), etc. Don't confuse with ct de; see note, p. 11 l. 3.

26. se dgota de, 'became tired of.'

28. au fond de, 'in the remotest parts of.' Note il sait l'anglais a fond, 'he knows English thoroughly.'

Page 8.

10. de bonne heure, 'early'; la bonne heure, 'all right,' 'well done,' 'capital!' Like par exemple (see note, p. 3 l. 22), the latter derives its meaning from the context or tone in which it is said. Note sur l'heure (p. 78 l. 8), 'immediately,' 'at once'; tout l'heure, 'a moment ago,' 'presently.'

14. juste Dieu! 'good gracious!' 'gracious me!' So also grand Dieu (l. 29). These and similar exclamations, e.g. mon Dieu!—ah! mon Dieu!—mon Dieu, oui! must not be translated literally. There is no idea of profanity attached to them.

16. plat ventre, 'flat on my face.'

19. c'est gal, 'all the same.'

30. il n'en fut rien, 'nothing of the kind happened.'

Page 9.

1. ds qu'ils furent partis, je courus: after aprs que, aussitt que, ds que, peine, quand, lorsque, the Past Anterior, not the Pluperfect, must be used when the principal verb is in the preterite. In other words, the auxiliary of the compound verb must be in the same tense as the verb in the principal sentence.

22. il avait pris les devants, 'he had gone on in front.'

26. Beaucaire: a fine town on the right bank of the Rhone. It is connected with Tarascon by a splendid suspension-bridge, and is famous for its fair held annually in July, and frequented by many thousands of people. Daudet gives a graphic account of it in Numa Roumestan.

Page 10.

2. Un parapluie: note the gender; nouns ending in e mute preceded by a vowel are usually feminine. Other exceptions are gnie, incendie, lyce, muse.

3. tout de mme, 'all the same.'

Page 11. (chapter ii. full=ii)

3. ct de, 'by the side of,' 'beside.' Cf. note, p. 7 l. 13. Distinguish also ct and de ct; e.g. il demeure ct, 'he lives close by'; la maison d' ct 'the next house'; le tableau est de ct 'the picture is on one side'; un regard de ct, 'a side glance.'

7. large, 'broad,' never 'large.'

8. le ciel riait, 'the sky was radiant.'

9. descendaient au fil de l'eau, 'were going down stream.'

19. ma foi! 'upon my word!' 'faith!' not 'my faith!' Never translate this expression literally.

Page 12.

3. serrs les uns contre les autres, 'closely packed.'

9. ttons, 'groping his way along.'

qui vive? 'who goes there?' The challenge of a French sentinel.

14. et en route, 'and moved off.'

21. ah! mon Dieu! see note, p. 8 l. 14.

23. me serra plus fort, 'grasped my hand more firmly.'

29. s'il parlait, je crois bien: on l'entendait d'une lieue, 'I should rather think it was talking, you could hear it a mile off.' The sentence is elliptical, vous demandez being understood before s'il. Note the idiomatic use of bien, and cf. je le veux bien, 'I am perfectly willing'; voulez-vous bien vous en aller, 'won't you go away!' je donnerais bien un franc, 'I shouldn't mind giving a franc.'

30. trouble, 'agitation,' 'confusion,' not 'trouble,' the French for which is peine, chagrin, douleur. Les troubles='rebellion,' 'rising,' e.g. des troubles clatrent en France.

Page 13.

9. plus de Vendredi! plus de perroquet...plus possible: plus is often used negatively without ne when the verb is understood. Trans. 'without a Friday, or a parrot, a Robinson would not be possible any longer.'

10. le moyen: elliptical for dites-moi le moyen. Trans. 'how was it possible to...' or 'how could one...'

11. d'ailleurs, 'besides'; ailleurs='elsewhere.'

13. rue Lanterne: note omission of preposition and article.

28. le lendemain soir: note this is the correct way of expressing in French 'next evening'; cf. le lendemain matin.

Page 14.

17. s'y maria, 'got married there.' Note marier, 'to give in marriage,' or 'to perform the marriage ceremony'; e.g. le cur les a maris; se marier avec, 'to be married to,' e.g. elle s'est marie avec Monsieur B., or elle a pous Monsieur B.

20. gros ouvrage, 'rough work.'

26. par exemple: see note, p. 3 l. 22.

27. lui non plus, 'either,' added for emphasis at the end of the sentence.

29. avait fini par le prendre en grippe, 'had at length taken a dislike to him.'

l'abreuvait de taloches, 'rapped his head at every turn.'

31. le fait est: a favourite expression of Daudet. It does not correspond to the English 'the fact is,' which generally denotes a contradiction, but rather strengthens what has been said. Trans. 'indeed.'

Page 15.

2. perdait tous ses moyens, 'completely lost his wits.'

9. le voil qui prend: the use of le voil is very emphatic; voi is the imperative of voir, and le voil=vois-le l.

18. tu as beau lui dire, 'it is no use your telling him.' Avoir beau + infinitive is ironical, and elliptical for avoir beau temps pour, i.e. to have a fine opportunity, but to no purpose; cf. the English 'it is all very fine for you to tell him.'

19. tout de mme: see note, p. 10 l. 3.

30. pourvu qu'il ne lui soit rien arriv, 'I hope nothing has happened to him.'

31. parbleu: a euphemism for pardieu. Trans. 'why, of course not.'

Page 16.

15. recteur: as far as education is concerned, France is divided into seventeen acadmies, each under a recteur, who represents the Ministre de l'instruction publique.

24. de bonne foi, 'honestly'; cf. de bon c[oe]ur, 'gladly' (p. 35 l. 28); de meilleur c[oe]ur, 'more cheerfully,' 'more willingly' (p. 49 l. 27).

28. non plus: see note, p. 14 l. 27.

Page 17.

1. gones: provincial slang, 'street arabs.'

2. blouse carreaux: note the French _ of description where we say 'with'; cf.—

p. 33 l. 14, un personnage favoris rouges. p. 35 l. 20, la fe aux lunettes. p. 35 l. 24, l' homme aux moustaches. p. 42 l. 20, l' homme aux clefs. p. 52 l. 28, ses souliers boucles.

5. Tiens! expresses surprise and may be rendered, according to the context, by 'here!' 'look here!' 'I say!' 'halloa!' 'well, I never!' etc.

6. me prit en aversion, 'took a violent dislike to me'; cf. note, p. 14 l. 29.

7. du bout des lvres, 'in a most casual manner'; cf. rire du tout des lvres.

16. sentaient bon, 'smelt very nice.' For other adjectives used as adverbs cf. parlant haut (p. 40 l. 27); il s'arrta court (p. 43 l. 26); ne pas manger tranquille (p 51 l. 23); prier ferme (p. 56 l. 2); il s'arrta net (p. 98 l. 1).

20. moisis, fans, sentant le rance, 'mouldy, musty and frowsy.' Sentir le rance, 'to smell rancid,' lit. 'to smell of rancidity' (cf. sentir le vin, le tabac, etc.). The term 'rancid' could not be applied here. In English it is only used of oil and similar substances.

22. faisait bien de son mieux, 'did indeed his very best.'

Page 18.

4. boursier, 'foundation scholar'; cf. the Scotch 'bursar.'

6. ma foi! see note, p. 11 l. 19.

10. le givre fouettait les vitres, 'the frozen rain was beating against the window-panes.'

13. j'ai reu votre honore du 8 courant, 'I have received your favour of the 8th instant.

Page 19. (chapter iii. full=iv)

6. fermer double tour, 'double-lock.'

16. pour toute rponse, 'by way of answer.'

17. veste, 'jacket' gilet='vest,' 'waistcoat.'

Page 20.

7. songez donc! 'just think!'

10. qu'il n'y avait encore de fait que les quatre premiers vers, 'that the first four lines only were done so far.'

17. jamais il n'en put venir a bout, 'he could never get through.' En is used here as the object, ce reste, to which it refers, precedes the verb for the sake of emphasis. Note n'en put, somewhat archaic for ne put en...

18. que voulez-vous? 'there is no help for it!' See note, p. 5 l. 12.

21. le pote eut beau faire: see note, p. 15 l. 18.

Page 21.

1. parbleu! 'of course!' See note, p. 15 l. 31.

3. si le lecteur le veut bien, 'if the reader has an objection.' Note lecteur, lectrice, 'reader'; lecture, 'reading'; confrence, 'lecture'; confrencier, 'lecturer.'

4. est en train de: cf. tre en train de travailler, 'to be busy working.'

5. enjambe: the suffix -e denotes quantity; e.g. p. 36 l. 5, poigne, 'handful'; p. 47 l. 2, nue, 'thick cloud,' 'swarm.'

12. la mme chanson, 'the same old tune.'

13. misre, 'poverty,' 'want,' not misery'; les misres, 'hardships'; une misre, 'a trifle.'

les affaires qui ne vont pas, 'business not prospering.'

en retard, 'in arrears,' 'to be paid up.'

15. l'argenterie au mont-de-pit, 'the pawning of the family plate.' Monts-de-pit, 'pawnshops,' were founded out of piety to enable people in straitened circumstances to escape the exorbitant usury of the Jews, and borrow money at a reasonable rate of interest. The most ancient of these was established at Perugia, 1477, and situated on a mountain; hence its name. The name and system were introduced into France, where these institutions were put under Government control. Had such benevolent establishments only been introduced into England under the same conditions thousands of people might have been saved from utter ruin.

19. huissier, 'bailiff,' lit, one who keeps the huis or 'door.'

23. achevait sa philosophie, 'was finishing his course of philosophy,' i.e. was completing his school education. The order of the forms in a French school, beginning with the lowest, is neuvime, huitime, septime, sixime, cinquime, quatrime, troisime, seconde, premire, philosophie.

29. Eyssette pre, 'Eyssette senior' so Eyssette fils (p. 24 l. 21), 'Eyssette junior.'

Page 22.

20. un parti prendre, 'one decision to come to.' Note prendre son parti, 'to make up one's mind'; pouser un bon parti, 'to make a good match'; tirer parti de, 'to turn to account.' Distinguish carefully from la part, 'share,' and la partie, 'part,' 'portion,' 'game,' etc.

22. de notre ct, 'for ourselves.' Cf. note, p. 7 l. 13.

28. jusqu' nouvel ordre, 'until matters improve.'

31. comme commis-voyageur la socit vinicole, 'as a commercial traveller for the wine-growers' society.'

Page 23.

3. justement je reois, 'it just happens that I have received.'

4. matre d'tude, 'usher.'

10. c'est bien, 'very well.'

19. qu'on s'occupe de sa malle, 'let some one see to his trunk being packed.'

23. fait au . ., 'accustomed to . .'

28. Eyesette: names of persons or families are invariable in the plural, e.g. les Corneille et les Racine, except certain well-known historical names, chiefly of dynasties, e.g. les Csars, les Tudors, les Bourbons. But when used as common nouns to denote 'persons like' or 'works by' those named, they are variable. In the latter case, however, they only take the mark of the plural, according to some grammarians, when speaking of different editions, not of several copies of the same edition.

Page 24.

17. Acadmie: see note, p. 16 l. 15.

20. n'ayant rien qui sentt le pdant, 'having nothing about him which savoured of the pedant.' Cf. note, p. 17 l. 20. Why is sentt subjunctive?

23. brave: note un brave homme, 'a good, honest man'; un homme brave, 'a brave, courageous man.'

25. ah! mon Dieu! 'why!' Cf. note, p. 8 l. 14.

27. mauviette, 'delicate'; une mauviette, lit. 'a lark.'

Page 25.

6. mais enfin, 'however.'

9. baraque: slang for 'school.'

10. collge communal, 'communal' or 'municipal school.' Distinguish carefully between a lyce and a collge. The former is kept up entirely by the State; the latter partly by the State, partly by the town. Both provide 'secondary' education.

11. Sarlande: a fictitious name. Alais was the place where Daudet really went.

en pleine montagne: see note, p. 7 l. 3. Alais is near the Cvennes mountains.

16. la lettre termine: this construction of a noun or pronoun with a participle, standing independently of any other word in the sentence, and representing a subordinate clause, is very common in French. It is the exact equivalent of the ablative absolute in Latin.

20. quatre quatre, 'four steps at a time,' lit. 'four by four.' Cf. peu peu (p. 40 l. 25); goutte goutte (p. 83 l. 1).

21. sculaire, 'ancient,' lit. 'centuries old.' 'Secular' in French is sculier.

28. cabaret: a small public-house where food and drink only are supplied, not lodging, as in an auberge (p. 36 l. 9).

Page 26.

1. au compagnon du tour de France, 'the Oddfellows' Arms.' A compagnon was a workman affiliated to a 'Trade Union' (compagnonnage). As an emblem of their association the compagnons carried long canes with ribbons tied to them. Note that in French, as in German, the dative is used in the signs of inns, shops, etc.; e.g. la Toison d'or, au Cerf-Volant, la ville de Marseille; zum goldenen Lwen.

2. voici mon affaire, 'this is just what I want.'

13. un vieux coureur de tavernes, 'an habitu of public-houses.'

19. misricorde! 'gracious me!'

22. eh! mon Dieu, oui, 'yes indeed.'

23. anciennement, 'formerly.' Cf. note, p. 28 l. 31.

Page 27.

12. justice divine! see note, p. 8 l. 14.

17. mouillettes: long narrow pieces of bread to dip into wine or boiled eggs.

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