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French Lyrics
by Arthur Graves Canfield
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LES FOUS

Vieux soldats de plomb que nous sommes, Au cordeau nous alignant tous, Si des rangs sortent quelques hommes, Tous nous crions: A bas les fous! On les perscute, on les tue, Sauf, aprs un lent examen, A leur dresser une statue Pour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pense, Vierge obscure, attend son poux! Les sots la traitent d'insense; Le sage lui dit: Cachez-vous. Mais, la rencontrant loin du monde, Un fou qui croit au lendemain L'pouse; elle devient fconde Pour le bonheur du genre humain.

J'ai vu Saint-Simon le prophte, Riche d'abord, puis endett, Qui des fondements jusqu'au fate Refaisait la socit. Plein de son oeuvre commence, Vieux, pour elle il tendait la main, Sr qu'il embrassait la pense Qui doit sauver le genre humain.

Fourier nous dit: Sors de la fange, Peuple en proie aux dceptions. Travaille, group par phalange, Dans un cercle d'attractions. La terre, aprs tant de dsastres, Forme avec le ciel un hymen, Et la loi qui rgit les astres Donne la paix au genre humain!

Enfantin affranchit la femme, L'appelle partager nos droits. Fi! dites-vous; sous l'pigramme Ces fous rveurs tombent tous trois. Messieurs, lorsqu'en vain notre sphre Du bonheur cherche le chemin, Honneur au fou qui ferait faire Un rve heureux au genre humain!

Qui dcouvrit un nouveau monde? Un fou qu'on raillait en tout lieu. Sur la croix que son sang inonde Un fou qui meurt nous lgue un Deu, Si demain, oubliant d'clore, Le jour manquait, eh bien! demain Quelque fou trouverait encore Un flambeau pour le genre humain.



MILLEVOYE

LA CHUTE DES FEUILLES

De la dpouille de nos bois L'automne avait jonch la terre; Le bocage tait sans mystre, Le rossignol tait sans voix. Triste et mourant son aurore Un jeune malade, pas lents, Parcourait une fois encore Le bois cher ses premiers ans.

"Bois que j'aime, adieu! je succombe: Votre deuil me prdit mon sort, Et dans chaque feuille qui tombe Je lis un prsage de mort! Fatal oracle d'pidaure, Tu m'as dit: 'Les feuilles des bois A tes yeux jauniront encore, Et c'est pour la dernire fois. La nuit du trpas t'environne; Plus ple que la ple automne, Tu t'inclines vers le tombeau.

Ta jeunesse sera fltrie Avant l'herbe de la prairie, Avant le pampre du coteau.' Et je meurs! De sa froide baleine Un vent funeste m'a touch, Et mon hiver s'est approch Quand mon printemps s'coule peine. Arbuste en un seul jour dtruit, Quelques fleurs faisaient ma parure; Mais ma languissante verdure Ne laisse aprs elle aucun fruit. Tombe, tombe, feuille phmre, Voile aux yeux ce triste chemin, Cache au dsespoir de ma mre La place o je serai demain! Mais vers la solitaire alle Si mon amante dsole Venait pleurer quand le jour fuit, veille par un lger bruit Mon ombre un moment console."

Il dit, s'loigne ... et sans retour! La dernire feuille qui tombe A signal son dernier jour. Sous le chne on creusa sa tombe. Mais son amante ne vint pas Visiter la pierre isole; Et le ptre de la valle Troubla seul du bruit de ses pas Le silence du mausole.



MADAME DESBORDES-VALMORE

S'IL L'AVAIT SU

S'Il avait su quelle me il a blesse, Larmes du coeur, s'il avait pu vous voir, Ah! si ce coeur, trop plein de sa pense, De l'exprimer et gard le pouvoir, Changer ainsi n'et pas t possible; Fier de nourrir l'espoir qu'il a du, A tant d'amour il et t sensible, S'il l'avait su.

S'il avait su tout ce qu'on peut attendre D'une me simple, ardente et sans dtour, Il et voulu la mienne pour l'entendre. Comme il l'inspire, il et connu l'amour. Mes yeux baisss recelaient cette flamme; Dans leur pudeur n'a-t-il rien aperu? Un tel secret valait toute son me, S'il l'avait su.

Si j'avais su, moi-mme, quel empire On s'abandonne en regardant ses yeux, Sans le chercher comme l'air qu'on respire J'aurais port mes jours sous d'autres cieux Il est trop tard pour renouer ma vie; Ma vie tait un doux espoir du: Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie, Si j'avais su?

LES ROSES DE SAADI

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses; Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les noeuds trop serrs n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont clat. Les roses, envoles Dans le vent, la mer s'en sont toutes alles. Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir.

La vague en a paru rouge et comme enflamme. Ce soir, ma robe encore en est tout embaume.... Respires-en sur moi l'odorant souvenir!

LE PREMIER AMOUR

Vous souvient-il de cette jeune amie, Au regard tendre, au maintien sage et doux? A peine, hlas! au printemps de sa vie, Son coeur sentit qu'il tait fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse: Si jeune encore, on ne les connat pas; Son me pure aimait avec ivresse, Et se livrait sans honte et sans combats.

Elle a perdu son idole chrie; Bonheur si doux a dur moins qu'un jour! Elle n'est plus au printemps de sa vie: Elle est encore son premier amour.



LAMARTINE

LE LAC

Ainsi, toujours pousss vers de nouveaux rivages, Dans la nuit ternelle emports sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'ocan des ges Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'anne peine a fini sa carrire, Et prs des flots chris qu'elle devait revoir, Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre O tu la vis s'asseoir!

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes; Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dchirs; Ainsi le vent jetait l'cume de tes ondes Sur ses pieds adors.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence, On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

Tout coup des accents inconnus la terre Du rivage charm frapprent les chos; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chre Laissa tomber ces mots:

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices Suspendez votre cours! Laissez-nous savourer les rapides dlices Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent: Coulez, coulez pour eux; Prenez avec leurs jours les soins qui les dvorent; Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'chappe et fuit; Je dis cette nuit: Sois plus lente; et l'aurore Va dissiper la nuit.

"Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive, Htons-nous, jouissons! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons!"

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, O l'amour longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la mme vitesse Que les jours de malheur ?

Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace? Quoi! passs pour jamais? quoi! tout entiers perdus? Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus?

ternit, nant, pass, sombres abmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez? Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez?

O lac! rochers muets! grottes! fort obscure! Vous que le temps pargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soif dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zphyr qui frmit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords rpts, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clarts!

Que le vent qui gmit, le roseau qui soupire, Que les parfums lgers de ton air embaum, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise: "Ils ont aim!"

L'AUTOMNE

Salut, bois couronns d'un reste de verdure! Feuillages jaunissants sur les gazons pars! Salut, derniers beaux jours! Le deuil de la nature Convient la douleur et plat mes regards.

Je suis d'un pas rveur le sentier solitaire; J'aime revoir encor, pour la dernire fois, Ce soleil plissant, dont la faible lumire Perce peine mes pieds l'obscurit des bois.

Oui, dans ces jours d'automne o la nature expire, A ses regards voils je trouve plus d'attraits: C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lvres que la mort va fermer pour jamais.

Ainsi, prt a quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir vanoui, Je me retourne encore et d'un regard d'envie Je contemple ces biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme au bord de mon tombeau, L'air est si parfum! la lumire est si pure! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Je voudrais maintenant vider jusqu' la lie Ce calice ml de nectar et de fiel: Au fond de cette coupe o je buvais la vie, Peut-tre restait-il une goutte de miel!

Peut-tre l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu! Peut-tre, dans la foule, une me que j'ignore Aurait compris mon me, et m'aurait rpondu?....

La fleur tombe en livrant ses parfums au zphire; A la vie, au soleil, ce sont l ses adieux; Moi, je meurs; et mon me, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mlodieux.

LE SOIR

Le soir ramne le silence. Assis sur ces rochers dserts, Je suis dans le vague des airs Le char de la nuit qui s'avance.

Vnus se lve l'horizon; A mes pieds l'toile amoureuse De sa lueur mystrieuse Blanchit les tapis de gazon.

De ce htre au feuillage sombre J'entends frissonner les rameaux; On dirait autour des tombeaux Qu'on entend voltiger une ombre.

Tout coup, dtach des cieux, Un rayon de l'astre nocturne, Glissant sur mon front taciturne, Vient mollement toucher mes yeux.

Doux reflet d'un globe de flamme, Charmant rayon, que me veux-tu? Viens-tu dans mon sein abattu Porter la lumire mon me?

Descends-tu pour me rvler Des mondes le divin mystre, Ces secrets cachs dans la sphre O le jour va te rappeler!

Une secrte intelligence T'adresse-t-elle aux malheureux? Viens-tu, la nuit, briller sur eux Comme un rayon de l'esprance?

Viens-tu dvoiler l'avenir Au coeur fatigu qui l'implore? Rayon divin, es-tu l'aurore Du jour qui ne doit pas finir?

Mon coeur ta clart s'enflamme, Je sens des transports inconnus, Je songe ceux qui ne sont plus: Douce lumire, es-tu leur me?

Peut-tre ces mnes heureux Glissent ainsi sur le bocage. Envelopp de leur image, Je crois me sentir plus prs d'eux!

Ah! si c'est vous, ombres chries, Loin de la foule et loin du bruit, Revenez ainsi chaque nuit Vous mler mes rveries.

Ramenez la paix et l'amour Au sein de mon me puise, Comme la nocturne rose Qui tombe aprs les feux du jour.

Venez! ... Mais des vapeurs funbres Montent des bords de l'horizon: Elles voilent le doux rayon, Et tout rentre dans les tnbres.



LE VALLON

Mon coeur, lass de tout, mme de l'esprance, N'ira plus de ses voeux importuner le sort; Prtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'troit sentier de l'obscure valle: Du flanc de ces coteaux pendent des bois pais Qui, courbant sur mon front leur ombre entremle, Me couvrent tout entier de silence et de paix.

L, deux ruisseaux cachs sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon; Ils mlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est coule; Elle a pass sans bruit, sans nom et sans retour: Mais leur onde est limpide, et mon me trouble N'aura pas rflchi les clarts d'un beau jour.

La fracheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne, M'enchanent tout le jour sur les bords des ruisseaux; Comme un enfant berc par un chant monotone, Mon me s'assoupit au murmure des eaux.

Ah! c'est l qu'entour d'un rempart de verdure, D'un horizon born qui suffit mes yeux, J'aime fixer mes pas, et, seul dans la nature, An'entendre que l'onde, ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aim dans ma vie; Je viens chercher vivant le calme du Lth. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords o l'on oublie: L'oubli seul dsormais est ma flicit.

Mon coeur est en repos, mon me est en silence; Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son loign qu'affaiblit la distance, A l'oreille incertaine apport par le vent.

D'ici je vois la vie, travers un nuage, S'vanouir pour moi dans l'ombre du pass; L'amour seul est rest, comme une grande image Survit seule au rveil dans un songe effac.

Repose-toi, mon me, en ce dernier asile, Ainsi qu'un voyageur qui, le coeur plein d'espoir, S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville, Et respire un moment l'air embaum du soir.

Comme lui, de nos pieds secouons la poussire; L'homme par ce chemin ne repasse jamais: Comme lui, respirons au bout de la carrire Ce calme avant-coureur de l'ternelle paix.

Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne, Dclinent comme l'ombre au penchant des coteaux; L'amiti te trahit, la piti t'abandonne, Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Mais la nature est l qui t'invite et qui t'aime; Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours: Quand tout change pour toi, la nature est la mme, Et le mme soleil se lve sur tes jours.

De lumire et d'ombrage elle t'entoure encore; Dtache ton amour des faux biens que tu perds; Adore ici l'cho qu'adorait Pythagore, Prte avec lui l'oreille aux clestes concerts.

Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre; Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon; Avec le doux rayon de l'astre du mystre Glisse travers les bois dans l'ombre du vallon.

Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence: Sous la nature enfin dcouvre son auteur! Une voix l'esprit parle dans son silence: Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur?

L'ISOLEMENT

Souvent sur la montagne, l'ombre du vieux chne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds; Je promne au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se droule mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues cumantes; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur; L le lac immobile tend ses eaux dormantes O l'toile du soir se lve dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronns de bois sombres, Le crpuscule encor jette un dernier rayon; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit dj les bords de l'horizon.

Cependant, s'lanant de la flche gothique, Un son religieux se rpand dans les airs: Le voyageur s'arrte, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mle de saints concerts.

Mais ces doux tableaux mon me indiffrente N'prouve devant eux ni charme ni transports; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante: Le soleil des vivants n'chauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense tendue, Et je dis: "Nulle part le bonheur ne m'attend."

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumires, Vains objets dont pour moi le charme est envol? Fleuves, rochers, forts, solitudes si chres, Un seul tre vous manque, et tout est dpeupl!

Que le tour du soleil ou commence ou s'achve, D'un oeil indiffrent je le suis dans son cours; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lve, Qu'import le soleil? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrire, Mes yeux verraient partout le vide et les dserts: Je ne dsire rien de tout ce qu'il claire; Je ne demande rien l'immense univers.

Mais peut-tre au del des bornes de sa sphre, Lieux o le vrai soleil claire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dpouille la terre, Ce que j'ai tant rv paratrait mes yeux!

L, je m'enivrerais la source o j'aspire; L, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idal que toute me dsire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sjour!

Que ne puis-je, port sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'lancer jusqu' toi! Sur la terre d'exil pourquoi rest-je encore? Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'lve et l'arrache aux vallons; Et moi, je suis semblable la feuille fltrie: Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!

LE CRUCIFIX

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante Avec son dernier souffle et son dernier adieu, Symbole deux fois saint, don d'une main mourante, Image de mon Dieu;

Que de pleurs ont coul sur tes pieds que j'adore, Depuis l'heure sacre o, du sein d'un martyr, Dans mes tremblantes mains tu passas, tide encore De son dernier soupir!

Les saints flambeaux jetaient une dernire flamme; Le prtre murmurait ces doux chants de la mort, Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme A l'enfant qui s'endort.

De son pieux espoir son front gardait la trace, Et sur ses traits, frapps d'une auguste beaut, La douleur fugitive avait empreint sa grce, La mort sa majest.

Le vent qui caressait sa tte chevele Me montrait tour tour ou me voilait ses traits, Comme l'on voit flotter sur un blanc mausole L'ombre des noirs cyprs.

Un de ses bras pendait de la funbre couche; L'autre, languissamment repli sur son coeur, Semblait chercher encore et presser sur sa bouche L'image du Sauveur.

Ses lvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore Mais son me avait fui dans ce divin baiser, Comme un lger parfum que la flamme dvore Avant de l'embraser.

Maintenant tout dormait sur sa bouche glace, Le souffle se taisait dans son sein endormi, Et sur l'oeil sans regard la paupire affaisse Retombait demi.

Et moi, debout, saisi d'une terreur secrte, Je n'osais m'approcher de ce reste ador, Comme si du trpas la majest muette L'et dj consacr.

Je n'osais !... Mais le prtre entendit mon silence, Et, de ses doigts glacs prenant le crucifix : "Voil le souvenir, et voil l'esprance : Emportez-les, mon fils!"

Oui, tu me resteras, funbre hritage! Sept fois, depuis ce jour, l'arbre que j'ai plant Sur sa tombe sans nom a chang de feuillage : Tu ne m'as pas quitt.

Plac prs de ce coeur, hlas! o tout s'efface, Tu l'as contre le temps dfendu de l'oubli, Et mes yeux goutte goutte ont imprim leur trace Sur l'ivoire amolli.

O dernier confident de l'me qui s'envole, Viens, reste sur mon coeur ! parle encore, et dis-moi Ce qu'elle te disait quand sa faible parole N'arrivait plus qu' toi ;

A cette heure douteuse o l'me recueillie, Se cachant sous le voile paissi sur nos yeux, Hors de nos sens glacs pas pas se replie, Sourde aux derniers adieux ;

Alors qu'entre la vie et la mort incertaine, Comme un fruit par son poids dtach du rameau, Notre me est suspendue et tremble chaque halein Sur la nuit du tombeau ;

Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie N'veille dj plus notre esprit endormi, Aux lvres du mourant coll dans l'agonie, Comme un dernier ami :

Pour clairer l'horreur de cet troit passage, Pour relever vers Dieu son regard abattu, Divin consolateur, dont nous baisons l'image, Rponds, que lui dis-tu ?

Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines, Dans cette nuit terrible o tu prias en vain, De l'olivier sacr baignrent les racines Du soir jusqu'au matin.

De la croix, o ton oeil sonda ce grand mystre Tu vis ta mre en pleurs et la nature en deuil; Tu laissas comme nous tes amis sur la terre, Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne De rendre sur ton sein ce douloureux soupir: Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne, O toi qui sais mourir!

Je chercherai la place o sa bouche expirante Exhala sur tes pieds l'irrvocable adieu, Et son me viendra guider mon me errante Au sein du mme Dieu.

Ah! puisse, puisse alors sur ma funbre couche, Triste et calme la fois, comme un ange plor, Une figure en deuil recueillir sur ma bouche L'hritage sacr !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernire heure; Et, gage consacr d'esprance et d'amour, De celui qui s'loigne celui qui demeure Passe ainsi tour tour,

Jusqu'au jour o, des morts perant la vote sombre Une voix dans le ciel, les appelant sept fois, Ensemble veillera ceux qui dorment l'ombre De l'ternelle croix !

ADIEU A GRAZIELLA

Adieu! mot qu'une larme humecte sur la lvre ; Mot qui finit la joie et qui tranche l'amour ; Mot par qui le dpart de dlices nous svre ; Mot que l'ternit doit effacer un jour!

Adieu!.... Je t'ai souvent prononc dans ma vie, Sans comprendre, en quittant les tres que j'aimais, Ce que tu contenais de tristesse et de lie, Quand l'homme dit: "Retour!" et que Dieu dit :

"Jamais!"

Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce Le mot qui contient tout, puisqu'il est plein de toi, Qui tombe dans l'abme, et qui n'a pour rponse Que l'ternel silence entre une image et moi!

Et cependant mon coeur redit chaque haleine Ce mot qu'un sourd sanglot entrecoupe au milieu, Comme si tous les sons dont la nature est pleine N'avaient pour sens unique, hlas ! qu'un grand adieu !

LES PRELUDES

O vallons paternels; doux champs; humble chaumire Au bord penchant des bois suspendue aux coteaux, Dont l'humble toit, cach sous des touffes de lierre, Ressemble au nid sous les rameaux;

Gazons entrecoups de ruisseaux et d'ombrages; Seuil antique o mon pre, ador comme un roi, Comptait ses gras troupeaux rentrant des pturages, Ouvrez-vous, ouvrez-vous! c'est moi!

Voil du dieu des champs la rustique demeure. J'entends l'airain frmir au sommet de ses tours; Il semble que dans l'air une voix qui me pleure Me rappelle mes premiers jours.

Oui, je reviens toi, berceau de mon enfance, Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs. Loin de moi les cits et leur vaine opulence! Je suis n parmi les pasteurs.

Enfant, j'aimais comme eux suivre dans la plaine Les agneaux pas pas, gars jusqu'au soir; A revenir comme eux baigner leur blanche laine Dans l'eau courante du lavoir;

J'aimais me suspendre aux lianes lgres, A gravir dans les airs de rameaux en rameaux, Pour ravir, le premier, sous l'aile de leurs mres, Les tendres oeufs des tourtereaux;

J'aimais les voix du soir dans les airs rpandues, Le bruit lointain des chars gmissant sous leur poids, Et le sourd tintement des cloches suspendues Au cou des chevreaux dans les bois.

Et depuis, exil de ces douces retraites, Comme un vase imprgn d'une premire odeur, Toujours, loin des cits, des volupts secrtes Entranaient mes yeux et mon coeur.

Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacrs ombrages ! Vous qui couvrez le seuil de rameaux plors, Saules contemporains, courbez vos longs feuillages Sur le frre que vous pleurez.

Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule, Arbres que dans mes jeux j'insultais autrefois; Et toi qui loin de moi te cachais la foule, Triste cho, rponds ma voix.

Je ne viens pas traner, dans vos riants asiles, Les regrets du pass, les songes du futur: J'y viens vivre, et, couch sous vos berceaux fertiles, Abriter mon repos obscur.

S'veiller, le coeur pur, au rveil de l'aurore, Pour bnir, au matin, le Dieu qui fait le jour; Voir les fleurs du vallon sous la rose clore, Comme pour fter son retour;

Respirer les parfums que la colline exhale, Ou l'humide fracheur qui tombe des forts; Voir onduler de loin l'haleine matinale Sur le sein flottant des gurets;

Conduire la gnisse la source qu'elle aime, Ou suspendre la chvre au cytise embaum, Ou voir ses blancs taureaux venir tendre d'eux-mme Leur front au joug accoutum ;

Guider un soc tremblant dans le sillon qui crie, Du pampre domestique monder les berceaux, Ou creuser mollement, au sein de la prairie, Les lits murmurants des ruisseaux;

Le soir, assis en paix au seuil de la chaumire, Tendre au pauvre qui passe un morceau de son pain, Et, fatigu du jour, y fermer sa paupire Loin des soucis du lendemain;

Sentir, sans les compter, dans leur ordre paisible, Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit Que ce sable lger dont la fuite insensible Nous marque l'heure qui s'enfuit;

Voir de vos doux vergers sur vos fronts les fruits pendre, Les fruits d'un chaste amour dans vos bras accourir, Et, sur eux appuy, doucement redescendre: C'est assez pour qui doit mourir.

HYMNE DE L'ENFANT A SON RVEIL

O pre qu'ador mon pre! Toi qu'on ne nomme qu' genoux! Toi, dont le nom terrible et doux Fait courber le front de ma mre!

On dit que ce brillant soleil N'est qu'un jouet de ta puissance; Que sous tes pieds il se balance Comme une lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais natre Les petits oiseaux, dans les champs, Et qui donne aux petits enfants Une me aussi pour te connatre!

On dit que c'est toi qui produis Les fleurs dont le jardin se pare, Et que, sans toi, toujours avare, Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bont mesure Tout l'univers est convi; Nul insecte n'est oubli A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet, La chvre s'attache au cytise, La mouche au bord du vase puise Les blanches gouttes de mon lait!

L'alouette a la graine amre Que laisse envoler le glaneur, Le passereau suit le vanneur, Et l'enfant s'attache sa mre.

Et pour obtenir chaque don Que chaque jour tu fais clore, A midi, le soir, l'aurore, Que faut-il? prononcer ton nom!

O Dieu! ma bouche balbutie Ce nom des anges redout. Un enfant mme est cout Dans le choeur qui te glorifie!

On dit qu'il aime recevoir Les voeux prsents par l'enfance, A cause de cette innocence Que nous avons sans le savoir.

On dit que leurs humbles louanges A son oreille montent mieux; Que les anges peuplent les cieux, Et que nous ressemblons aux anges!

Ah! puisqu'il entend de si loin Les voeux que notre bouche adresse, Je veux lui demander sans cesse Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines, Donne la plume aux passereaux, Et la laine aux petits agneaux, Et l'ombre et la rose aux plaines.

Donne au malade la sant, Au mendiant le pain qu'il pleure, A l'orphelin une demeure, Au prisonnier la libert.

Donne une famille nombreuse Au pre qui craint le Seigneur, Donne moi sagesse et bonheur, Pour que ma mre soit heureuse!

Que je sois bon, quoique petit, Comme cet enfant dans le temple, Que chaque matin je contemple Souriant au pied de mon lit.

Mets dans mon me la justice, Sur mes lvres la vrit, Qu'avec crainte et docilit Ta parole en mon coeur mrisse!

Et que ma voix s'lve toi Comme cette douce fume Que balance l'urne embaume Dans la main d'enfants comme moi!



LE PREMIER REGRET

Sur la plage sonore o la mer de Sorrente Droule ses flots bleus, aux pieds de l'oranger, Il est, prs du sentier, sous la haie odorante, Une pierre, petite, troite, indiffrente Aux pas distraits de l'tranger.

La girofle y cache un seul nom sous ses gerbes, Un nom que nul cho n'a jamais rpt. Quelquefois seulement le passant arrt, Lisant l'ge et la date en cartant les herbes Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir, Dit: "Elle avait seize ans; c'est bien tt pour mourir!"

Mais pourquoi m'entraner vers ces scnes passes ? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Dit: "Elle avait seize ans!" Oui, seize ans! et cet ge N'avait jamais brill sur un front plus charmant, Et jamais tout l'clat de ce brlant rivage Ne s'tait rflchi dans un oeil plus aimant! Moi seul je la revois, telle que la pense Dans l'me, o rien ne meurt, vivante l'a laisse, Vivante comme l'heure o, les yeux sur les miens, Prolongeant sur la mer nos premiers entretiens, Ses cheveux noirs livrs au vent qui les dnoue, Et l'ombre de la voile errante sur sa joue, Elle coutait le chant du nocturne pcheur, De la brise embaume aspirait la fracheur, Me montrait dans le ciel la lune panouie Comme une fleur des nuits dont l'aube est rjouie, Et l'cume argente, et me disait : " Pourquoi Tout brille-t-il ainsi dans les airs et dans moi ? Jamais ces champs d'azur sems de tant de flammes, Jamais ces sables d'or o vont mourir les lames, Ces monts dont les sommets tremblent au fond des cieux, Ces golfes couronns de bois silencieux, Ces lueurs sur la cte, et ces chants sur les vagues, N'avaient mu mes sens de volupts si vagues! Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais rv ? Un astre dans mon coeur s'est-il aussi lev ? Et toi, fils du matin, dis! ces nuits si belles Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles?" Puis, regardant sa mre assise auprs de nous, Posait pour s'endormir son front sur ses genoux.

Mais pourquoi m'entraner vers ces scnes passes? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Que son oeil tait pur, et sa lvre candide! Que son ciel inondait son me de clart! Le beau lac de Nmi, qu'aucun souffle ne ride, A moins de transparence et de limpidit. Dans cette me, avant elle, on voyait ses penses; Ses paupires jamais, sur ses beaux yeux baisses, Ne voilaient son regard d'innocence rempli; Nul souci sur son front n'avait laiss son pli; Tout foltrait en elle: et ce jeune sourire, Qui plus tard sur la bouche avec tristesse expire, Sur sa lvre entr'ouverte tait toujours flottant, Comme un pur arc-en-ciel sur un jour clatant. Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage, Ce rayon n'avait pas travers de nuage. Son pas insouciant, indcis, balanc, Flottait comme un flot libre o le jour est berc, Ou courait pour courir; et sa voix argentine, cho limpide et pur de son me enfantine, Musique de cette me o tout semblait chanter, gayait jusqu' l'air qui l'entendait monter.

Mais pourquoi m'entraner vers ces scnes passes? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Mon image en son coeur se grava la premire, Comme dans l'oeil qui s'ouvre, au matin, la lumire; Elle ne regarda plus rien aprs ce jour: De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour! Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon me; et je faisais partie De ce monde enchant qui flottait sous ses yeux Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux. Elle ne pensait plus au temps, la distance, L'heure seule absorbait toute son existence: Avant moi, cette vie tait sans souvenir, Un soir de ces beaux jours tait tout l'avenir! Elle se confiait la douce nature Qui souriait sur nous, la prire pure Qu'elle allait, le coeur plein de joie et non de pleurs, A l'autel qu'elle aimait rpandre avec ses fleurs; Et sa main m'entranait aux marches de son temple, Et, comme un humble enfant, je suivais son exemple, Et sa voix me disait tout bas: "Prie avec moi; Car je ne comprends pas le ciel mme sans toi!"

Mais pourquoi m'entraner vers ces scnes passes? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive S'arrondir comme un lac sous son troite rive, Bleue et claire, l'abri du vent qui va courir Et du rayon brlant qui pourrait la tarir. Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide, En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride, Orne sans le ternir le liquide miroir Et s'y berce au milieu des toiles du soir; Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles, Il bat le flot tremblant de ses humides ailes, Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit, La plume blancs flocons y tombe et la ternit, Comme si le vautour, ennemi de sa race, De sa mort sur les flots avait sem la trace; Et l'azur clatant de ce lac enchant N'est plus qu'une onde obscure o le sable a mont. Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette me; Le rayon s'teignit, et sa mourante flamme Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir. Elle n'attendit pas un second avenir, Elle ne languit pas de doute en esprance, Et ne disputa pas sa vie la souffrance; Elle but d'un seul trait le vase de douleur, Dans sa premire larme elle noya son coeur; Et, semblable l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle, Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile, Elle s'enveloppa d'un muet dsespoir, Et s'endormit aussi; mais, hlas! loin du soir!

Mais pourquoi m'entraner vers ces scnes passes? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile, Et rien ne pleure plus sur son dernier asile; Et le rapide oubli, second linceul des morts, A couvert le sentier qui menait vers ces bords. Nul ne visite plus cette pierre efface, Nul n'y songe et n'y prie.... except ma pense, Quand, remontant le flot de mes jours rvolus, Je demande mon coeur tous ceux qui n'y sont plus, Et que, les yeux flottants sur de chres empreintes, Je pleure dans mon ciel tant d'toiles teintes! Elle fut la premire, et sa douce lueur D'un jour pieux et tendre claire encor mon coeur.

Mais pourquoi n'entraner vers ces scnes passes? Laissons le vent gmir et le flot murmurer. Revenez, revenez, mes tristes penses! Je veux rver, et non pleurer.

Un arbuste pineux, la ple verdure, Est le seul monument que lui fit la nature: Battu des vents de mer, du soleil calcin, Comme un regret funbre au coeur enracin, Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage; La poudre du chemin y blanchit son feuillage; Il rampe prs de terre, o ses rameaux penchs Par la dent des chevreaux sont toujours retranchs; Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige, Y flotte un jour ou deux; mais le vent qui l'assige L'effeuille avant qu'elle ait rpandu son odeur, Comme la vie, avant qu'elle ait charm le coeur! Un oiseau de tendresse et de mlancolie S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie. Oh, dis! fleur que la vie a fait si tt fltrir! N'est-il pas une terre o tout doit refleurir?

Remontez, remontez ces heures passes! Vos tristes souvenirs m'aident soupirer. Allez o va mon me, allez, mes penses! Mon coeur est plein, je veux pleurer.

STANCES

Et j'ai dit dans mon coeur: Que faire de la vie? Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devanc, Comme l'agneau qui passe, o sa mre a pass, Imiter des mortels l'immortelle folie?

L'un cherche sur les mers les trsors de Memnon, Et la vague engloutit ses voeux et son navire; Dans le sein de la gloire o son gnie aspire, L'autre meurt enivr par l'cho d'un vain nom.

Avec nos passions formant sa vaste trame, Celui-l fonde un trne, et monte pour tomber; Dans des piges plus doux aimant succomber, Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.

Le paresseux s'endort dans les bras de la faim; Le laboureur conduit sa fertile charrue; Le savant pense et lit; le guerrier frappe et tue; Le mendiant s'assied sur le bord du chemin.

O vont-ils cependant? Ils vont o va la feuille Que chasse devant lui le souffle des hivers. Ainsi vont se fltrir dans leurs travaux divers Ces gnrations que le temps sme et cueille.

Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu: Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives, Je l'ai vu dvorer leurs ombres fugitives, Ils sont ns, ils sont morts: Seigneur, ont-ils vcu?

Pour moi, je chanterai le Matre que j'adore, Dans le bruit des cits, dans la paix des dserts, Couch sur le rivage, ou flottant sur les mers, Au dclin du soleil, au rveil de l'aurore.

La terre m'a cri: "Qui donc est le Seigneur?" Celui dont l'me immense est partout rpandue, Celui dont un seul pas mesure l'tendue, Celui dont le soleil emprunte sa splendeur,

Celui qui du nant a tir la matire, Celui qui sur le vide a fond l'univers, Celui qui sans rivage a renferm les mers, Celui qui d'un regard a lanc la lumire,

Celui qui ne connat ni jour ni lendemain, Celui qui de tout temps de soi-mme s'enfante, Qui vit dans l'avenir comme l'heure prsente, Et rappelle les temps chapps de sa main:

C'est lui, c'est le Seigneur!... Que ma langue redise Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels: Comme la harpe d'or pendue ses autels, Je chanterai pour lui jusqu' ce qu'il me brise...

LES REVOLUTIONS

Marchez! l'humanit ne vit pas d'une ide! Elle teint chaque soir celle qui l'a guide, Elle en allume une autre l'immortel flambeau: Comme ces morts vtus de leur parure immonde, Les gnrations emportent de ce monde Leurs vtements dans le tombeau.

L, c'est leurs dieux; ici, les moeurs de leurs anctres, Le glaive des tyrans, l'amulette des prtres, Vieux lambeaux, vils haillons de cultes ou de lois: Et quand aprs mille ans dans leurs caveaux on fouille, On est surpris de voir la risible dpouille De ce qui fut l'homme autrefois.

Robes, toges, turbans, tuniques, pourpre, bure, Sceptres, glaives, faisceaux, haches, houlette, armure, Symboles vermoulus fondent sous votre main, Tour tour au plus fort, au plus fourbe, au plus digne, Et vous vous demandez vainement sous quel signe Monte ou baisse le genre humain.

Sous le vtre, chrtiens! L'homme en qui Dieu travaille Change ternellement de formes et de taille: Gant de l'avenir, grandir destin, Il use en vieillissant ses vieux vtements, comme Des membres largis font clater sur l'homme Les langes o l'enfant est n.

L'humanit n'est pas le boeuf courte haleine Qui creuse pas gaux son sillon dans la plaine Et revient ruminer sur un sillon pareil: C'est l'aigle rajeuni qui change son plumage, Et qui monte affronter, de nuage en nuage, De plus hauts rayons du soleil.

Enfants de six mille ans qu'un peu de bruit tonne, Ne vous troublez donc pas d'un mot nouveau qui tonne, D'un empire boul, d'un sicle qui s'en va! Que vous font les dbris qui jonchent la carrire? Regardez en avant, et non pas en arrire: Le courant roule Jhovah!

Que dans vos coeurs troits vos esprances vagues Ne croulent pas sans cesse avec toutes les vagues: Ces flots vous porteront, hommes de peu de foi! Qu'importent bruit et vent, poussire et dcadence, Pourvu qu'au-dessus d'eux la haute Providence Droule l'ternelle loi !

Vos sicles page page pellent l'vangile: Vous n'y lisiez qu'un mot, et vous en lirez mille; Vos enfants plus hardis y liront plus avant! Ce livre est comme ceux des sibylles antiques, Dont l'augure trouvait les feuillets prophtiques Sicle sicle arrachs au vent.

Dans la foudre et l'clair votre Verbe aussi vole: Montez sa lueur, courez sa parole, Attendez sans effroi l'heure lente venir, Vous, enfants de celui qui, l'annonant d'avance, Du sommet d'une croix vit briller l'esprance Sur l'horizon de l'avenir!

Cet oracle sanglant chaque jour se rvle; L'esprit, en renversant, lve et renouvelle. Passagers ballotts dans vos sicles flottants, Vous croyez reculer sur l'ocan des ges, Et vous vous remontrez, aprs mille naufrages, Plus loin sur la route des temps!

Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes S'lever et crouler comme deux sombres murs; Quand le matre a brouill les noeuds nombreux qu'il file, Sur la plaine sans borne il se croit immobile Entre deux abmes obscures.

"C'est toujours, se dit-il dans son coeur plein de doute, Mme onde que je vois, mme bruit que j'coute; Le flot que j'ai franchi revient pour me bercer; A les compter en vain mon esprit se consume, C'est toujours de la vague, et toujours de l'cume: Les jours flottent sans avancer!"

Et les jours et les flots semblent ainsi renatre, Trop pareils pour que l'oeil puisse les reconnatre, Et le regard tromp s'use en les regardant; Et l'homme, que toujours leur ressemblance abuse, Les brouille, les confond, les gourmande et t'accuse, Seigneur!... Ils marchent cependant!

Et quand sur cette mer, las de chercher sa route, Du firmament splendide il explore la vote, Des astres inconnus s'y lvent ses yeux; Et, moins triste, aux parfums qui soufflent des rivages, Au jour tide et dor qui glisse des cordages, Il sent qu'il a chang de cieux.

Nous donc, si le sol tremble au vieux toit de nos pres, Ensevelissons-nous sous des cendres si chres, Tombons envelopps de ces sacrs linceuls! Mais ne ressemblons pas ces rois d'Assyrie Qui tranaient au tombeau femmes, enfants, patrie, Et ne savaient pas mourir seuls;

Qui jetaient au bcher, avant que d'y descendre, Famille, amis, coursiers, trsors rduits en cendre. Espoir ou souvenirs de leurs jours plus heureux, Et, livrant leur empire et leurs dieux la flamme, Auraient voulu qu'aussi l'univers n'et qu'une me, Pour que tout mourt avec eux!



ALFRED DE VIGNY

LE COR

I.

J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois, Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois, Ou l'adieu du chasseur que l'cho faible accueille Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l'ombre minuit demeur, J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleur! Car je croyais our de ces bruits prophtiques Qui prcdaient la mort des paladins antiques.

O montagnes d'azur! pays ador,

Rocs de la Frazona, cirque du Marbor, Cascades qui tombez des neiges entranes, Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrnes;

Monts gels et fleuris, trnes des deux saisons, Dont le front est de glace et le pied de gazons! C'est l qu'il faut s'asseoir, c'est l qu'il faut entendre Les airs lointains d'un cor mlancolique et tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit, De cette voix d'airain fait retentir la nuit; A ses chants cadencs autour de lui se mle L'harmonieux grelot du jeune agneau qui ble.

Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans une chute immense, Son ternelle plainte aux chants de la romance.

Ames des chevaliers, revenez-vous encor? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre valle L'ombre du grand Roland n'est donc pas console?

II.

Tous les preux taient morts, mais aucun n'avait fui, Il reste seul deboit, Olivier prs de lui;

L'Afrique sur le mont l'entoure et tremble encore. "Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More;

"Tous tes pairs sont couchs dans les eaux des torrents." Il rugit comme un tigre, et dit: "Si je me rends, Africain, ce sera lorsque les Pyrnes

Sur l'onde avec leurs corps rouleront entranes.

—Rends-toi donc, rpond-il, ou meurs, car les voil;" Et du plus haut des monts un grand rocher roula. Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abme, Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.

"Merci! cria Roland; tu m'as fait un chemin." Et, jusqu'au pied des monts le roulant d'une main, Sur le roc affermi comme un gant s'lance; Et, prte fuir, l'arme ce seul pas balance.

III.

Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. A l'horizon dj, par leurs eaux signales, De Luz et d'Argels se montraient les valles.

L'arme applaudissait. Le luth du troubadour S'accordait pour chanter les saules de l'Adour; Le vin franais coulait dans la coupe trangre; Le soldat, en riant, parlait la bergre.

Roland gardait les monts: tous passaient sans effroi. Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes:

"Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu. Par monsieur saint Denis! certes ce sont des mes Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

"Deux clairs ont relui, puis deux autres encor." Ici l'on entendit le son lointain du cor. L'empereur tonn, se jetant en arrire, Suspend du destrier la marche aventurire.

"Entendez-vous? dit-il.— Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux pars sur les hauteurs, Rpondit l'archevque, ou la voix touffe Du nain vert Obron, qui parle avec sa fe."

Et l'empereur poursuit; mais son front soucieux Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux; Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe, Le cor clate et meurt, renat et se prolonge.

"Malheur! c'est mon neveu! malheur! car, si Roland Appelle son secours, ce doit tre en mourant. Arrire, chevaliers, repassons la montagne! Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne!"

IV.

Sur le plus haut des monts s'arrtent les chevaux; L'cume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux Des feux mourants du jour peine se colore. A l'horizon lointain fuit l'tendard du More.

"Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent? —J'y vois deux chevaliers: l'un mort, l'autre expirant. Tous deux sont crass sous une roche noire; Le plus fort, dans sa main, lve un cor d'ivoire, Son me en s'exhalant nous appela deux fois."

Dieu! que le son du cor est triste au fond des bois!

LA BOUTEILLE A LA MER

Courage, faible enfant de qui ma solitude Reoit ces chants plaintifs, sans nom, que vous jetez Sous mes yeux ombrags du camail de l'tude. Oubliez les enfants par la mort arrts; Oubliez Chatterton, Gilbert et Malfiltre; De l'oeuvre d'avenir saintement idoltre, Enfin, oubliez l'homme en vous-mme.—coutez:

Quand un grave marin voit que le vent l'emporte Et que les mts briss pendent tous sur le pont, Que dans son grand duel la mer est la plus forte

Et que par des calculs l'esprit en vain rpond; Que le courant l'crase et le roule en sa course, Qu'il est sans gouvernail et, partant, sans ressource, Il se croise les bras dans un calme profond.

Il voit les masses d'eau, les toise et les mesure, Les mprise en sachant qu'il en est cras, Soumet son me au poids de la matire impure Et se sent mort ainsi que son vaisseau ras. —A de certains moments, l'me est sans rsistance; Mais le penseur s'isole et n'attend d'assistance Que de la forte foi dont il est embras.

Dans les heures du soir, le jeune Capitaine A fait ce qu'il a pu pour le salut des siens. Nul vaisseau n'apparat sur la vague lointaine, La nuit tombe, et le brick court aux rocs indiens. —Il se rsigne, il prie; il se recueille, il pense A celui qui soutient les ples et balance L'quateur hriss des longs mridiens.

Son sacrifice est fait; mais il faut que la terre Recueille du travail le pieux monument. C'est le journal savant, le calcul solitaire, Plus rare que la perle et que le diamant; C'est la carte des flots faite dans la tempte, La carte de recueil qui va briser sa tte: Aux voyageurs futurs sublime testament.

Il crit: "Aujourd'hui, le courant nous entrane, Dsempars, perdus, sur la Terre-de-Feu. Le courant porte l'est. Notre mort est certaine: Il faut cingler au nord pour bien passer ce lieu. —Ci-joint est mon journal, portant quelques tudes Des constellations des hautes latitudes. Qu'il aborde, si c'est la volont de Dieu!"

Puis, immobile et froid, comme le cap des brumes Qui sert de sentinelle au dtroit Magellan, Sombre comme ces rocs au front charg d'cumes, Ces pics noirs dont chacun porte un deuil castillan, Il ouvre une Bouteille et la choisit trs forte, Tandis que son vaisseau que le courant emporte Tourne en un cercle troit comme un vol de milan.

Il tient dans une main cette vieille compagne, Ferme, de l'autre main, son flanc noir et terni. Le cachet porte encor le blason de Champagne, De la mousse de Reims son col vert est jauni. D'un regard, le marin en soi-mme rappelle Quel jour il assembla l'quipage autour d'elle, Pour porter un grand toste au pavillon bni.

On avait mis en panne, et c'tait grande fte; Chaque homme sur son mt tenait le verre en main; Chacun son signal se dcouvrit la tte, Et rpondit d'en haut par un hourra soudain. Le soleil souriant dorait les voiles blanches; L'air mu rptait ces voix mles et franches, Ce noble appel de l'homme son pays lointain.

Aprs le cri de tous, chacun rve en silence. Dans la mousse d'A luit l'clair d'un bonheur; Tout au fond de son verre il aperoit la France. La France est pour chacun ce qu'y laissa son coeur: L'un y voit son vieux pre assis au coin de l'tre, Comptant ses jours d'absence; la table du ptre, Il voit sa chaise vide ct de sa soeur.

Un autre y voit Paris, o sa fille penche Marque avec les compas tous les souffles de l'air, Ternit de pleurs la glace o l'aiguille est cache, Et cherche ramener l'aimant avec le fer. Un autre y voit Marseille. Une femme se lve, Court au port et lui tend un mouchoir de la grve, Et ne sent pas ses pieds enfoncs dans la mer.

O superstition des amours ineffables, Murmures de nos coeurs qui nous semblez des voix, Calculs de la science, dcevantes fables! Pourquoi nous apparatre en un jour tant de fois? Pourquoi vers l'horizon nous tendre ainsi des piges? Esprances roulant comme roulent les neiges; Globes toujours ptris et fondus sous nos doigts!

O sont-ils prsent? o sont ces trois cents braves? Renverss par le vent dans les courants maudits, Aux harpons indiens ils portent pour paves Leurs habits dchirs sur leurs corps refroidis. Les savants officiers, la hache la ceinture, Ont pri les premiers en coupant la mture: Ainsi, de ces trois cents, il n'en reste que dix!

Le capitaine encor jette un regard au ple Dont il vient d'explorer les dtroits inconnus. L'eau monte ses genoux et frappe son paule; Il peut lever au ciel l'un de ses deux bras nus. Son navire est coul, sa vie est rvolue: Il lance la Bouteille la mer, et salue Les jours de l'avenir qui pour lui sont venus.

Il sourit en songeant que ce fragile verre Portera sa pense et son nom jusqu'au port; Que d'une le inconnue il agrandit la terre; Qu'il marque un nouvel astre et le confie au sort; Que Dieu peut bien permettre des eaux insenses De perdre des vaisseaux, mais non pas des penses; Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort.

Tout est dit! A prsent, que Dieu lui soit en aide! Sur le brick englouti l'onde a pris son niveau. Au large flot de l'est le flot de l'ouest succde, Et la Bouteille y roule en son vaste berceau. Seule dans l'Ocan la frle passagre N'a pas pour se guider une brise lgre; Mais elle vient de l'arche et porte le rameau.

Les courants l'emportaient, les glaons la retiennent Et la couvrent des plis d'un pais manteau blanc. Les noirs chevaux de mer la heurtent, puis reviennent La flairer avec crainte, et passent en soufflant. Elle attend que l't, changeant ses destines, Vienne ouvrir le rempart des glaces obstines, Et vers la ligne ardente elle monte en roulant.

Un jour tout tait calme et la mer Pacifique, Par ses vagues d'azur, d'or et de diamant, Renvoyait ses splendeurs au soleil du tropique. Un navire y passait majestueusement; Il a vu la Bouteille aux gens de mer sacre: Il couvre de signaux sa flamme diapre, Lance un canot en mer et s'arrte un moment.

Mais on entend au loin le canon des Corsaires; Le Ngrier va fuir s'il peut prendre le vent. Alerte! et coulez bas ces sombres adversaires! Noyez or et bourreaux du couchant au levant! La Frgate reprend ses canots et les jette En son sein, comme fait la sarigue inquite, Et par voile et vapeur vole et roule en avant.

Seule dans l'Ocan, seule toujours!—Perdue Comme un point invisible en un mouvant dsert, L'aventurire passe errant dans l'tendue, Et voit tel cap secret qui n'est pas dcouvert. Tremblante voyageuse flotter condamne, Elle sent sur son col que depuis une anne L'algue et les gomons lui font un manteau vert.

Un soir enfin, les vents qui soufflent des Florides L'entranent vers la France et ses bords pluvieux. Un pcheur accroupi sous des rochers arides Tire dans ses filets le flacon prcieux. Il court, cherche un savant et lui montre sa prise, Et, sans l'oser ouvrir, demande qu'on lui dise Quel est cet lixir noir et mystrieux.

Quel est cet lixir? Pcheur, c'est la science, C'est l'lixir divin que boivent les esprits, Trsor de la pense et de l'exprience; Et, si tes lourds filets, pcheur, avaient pris L'or qui toujours serpente aux veines du Mexique, Les diamants de l'Inde et les perles d'Afrique, Ton labeur de ce jour aurait eu moins de prix.

Regarde.—Quelle joie ardente et srieuse! Une gloire de plus luit dans la nation. Le canon tout-puissant et la cloche pieuse Font sur les toits tremblants bondir l'motion. Aux hros du savoir plus qu' ceux des batailles On va faire aujourd'hui de grandes funrailles. Lis ce mot sur les murs: "Commmoration!"

Souvenir ternel! gloire la dcouverte Dans l'homme ou la nature gaux en profondeur, Dans le Juste et le Bien, source peine entr'ouverte, Dans l'Art inpuisable, abme de splendeur!

Qu'import oubli, morsure, injustice insense, Glaces et tourbillons de notre traverse? Sur la pierre des morts crot l'arbre de grandeur.

Cet arbre est le plus beau de la terre promise, C'est votre phare tous, Penseurs laborieux! Voguez sans jamais craindre ou les flots ou la brise Pour tout trsor scell du cachet prcieux. L'or pur doit surnager, et sa gloire est certaine; Dites en souriant comme ce capitaine: "Qu'il aborde, si c'est la volont des dieux!"

Le vrai Dieu, le Dieu fort est le Dieu des ides. Sur nos fronts o le germe est jet par le sort, Rpandons le Savoir en fcondes ondes; Puis, recueillant le fruit tel que de l'me il sort, Tout empreint des parfums des saintes solitudes, Jetons l'oeuvre la mer, la mer des multitudes: —Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port.



VICTOR HUGO

LES DJINNS

Et come i gru van cantando lor lai Facendo in aer di se lunga riga, Cosi vid' io venir, traendo guai, Ombre portate dalla detta briga,—DANTE.

Et comme les grues qui font dans l'air de longues files vont chantant leur plainte, ainsi je vis venir tranant des gmissements des ombres emportes par cette tempte.

Murs, ville, Et port, Asile De mort, Mer grise O brise La brise, Tout dort.

Dans la plaine Nat un bruit. C'est l'haleine De la nuit. Elle brame Comme une me Qu'une flamme Toujours suit.

La voix plus haute Semble un grelot. D'un nain qui saute C'est le galop. Il fuit, s'lance, Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d'un flot.

La rumeur approche, L'cho la redit. C'est comme la cloche D'un couvent maudit, Comme un bruit de foule Qui tonne et qui roule, Et tantt s'croule, Et tantt grandit.

Dieu! la voix spulcrale Des Djinns! Quel bruit ils font! Fuyons sous la spirale De l'escalier profond! Dj s'teint ma lampe, Et l'ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe Et tourbillonne en sifflant. Les ifs, que leur vol fracasse, Craquent comme un pin brlant. Leur troupeau lourd et rapide, Volant dans l'espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un clair au flanc.

Ils sont tout prs!—Tenons ferme Cette salle o nous les narguons.

Quel bruit dehors! Hideuse arme De vampires et de dragons! La poutre du toit descelle Ploie ainsi qu'une herbe mouille, Et la vieille porte rouille Tremble draciner ses gonds.

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure! L'horrible essaim, pouss par l'aquilon, Sans doute, ciel! s'abat sur ma demeure. Le mur flchit sous le noir bataillon. La maison crie et chancelle penche, Et l'on dirait que, du sol arrache, Ainsi qu'il chasse une feuille sche, Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophte! si ta main me sauve De ces impurs dmons des soirs, J'irai prosterner mon front chauve Devant tes sacrs encensoirs! Fais que sur ces portes fidles Meure leur souffle d'tincelles, Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes Grince et crie ces vitraux noirs!

Ils sont passs!—Leur cohorte S'envole et fuit, et leurs pieds Cessent de battre ma porte De leurs coups multiplis. L'air est plein d'un bruit de chanes, Et dans les forts prochaines Frissonnent tous les grands chnes, Sous leur vol de feu plis!

De leurs ailes lointaines Le battement dcrot, Si confus dans les plaines, Si faible, que l'on croit Our la sauterelle Crier d'une voix grle Ou ptiller la grle Sur le plomb d'un vieux toit.

D'tranges syllabes Nous viennent encor: Ainsi, des arabes Quand sonne le cor, Un chant sur la grve Par instants s'lve, Et l'enfant qui rve Fait des rves d'or.

Les Djinns funbres, Fils du trpas, Dans les tnbres Pressent leurs pas; Leur essaim gronde: Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague Qui s'endort, C'est la vague

Sur le bord; C'est la plainte Presque teinte D'une sainte Pour un mort.

On doute La nuit... J'coute:— Tout fuit. Tout passe; L'espace Efface Le bruit.

ATTENTE

Esperaba, desperada.

Monte, cureuil, monte au grand chne, Sur la branche des cieux prochaine, Qui plie et tremble comme un jonc. Cigogne, aux vieilles tours fidle, Oh! vole et monte tire-d'aile De l'glise la citadelle, Du haut clocher au grand donjon.

Vieux aigle, monte de ton aire A la montagne centenaire

Que blanchit l'hiver ternel. Et toi qu'en ta couche inquite Jamais l'aube ne vit muette, Monte, monte, vive alouette, Vive alouette, monte au ciel.

Et maintenant, du haut de l'arbre,

Des flches de la tour de marbre, Du grand mont, du ciel enflamm, A l'horizon, parmi la brume, Voyez-vous flotter une plume, Et courir un cheval qui fume, Et revenir mon bien-aim?

EXTASE

Et j'entendis une grande voix. Apocalypse.

J'tais seul prs des flots, par une nuit d'toiles. Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles. Mes yeux plongeaient plus loin que le monde rel. Et les bois, et les monts, et toute la nature, Semblaient interroger dans un confus murmure Les flots des mers, les feux du ciel.

Et les toiles d'or, lgions infinies, A voix haute, voix basse, avec mille harmonies, Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu; Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n'arrte, Disaient, en recourbant l'cume de leur crte: —C'est le Seigneur, le Seigneur Dieu!

LORSQUE L'ENFANT PARAT

Lorsque l'enfant parat, le cercle de famille Applaudit grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souills peut-tre, Se drident soudain voir l'enfant paratre, Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous claire. On rit, on se rcrie, on l'appelle, et sa mre Tremble le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des potes, de l'me Qui s'lve en priant; L'enfant parat, adieu le ciel et la patrie Et les potes saints! la grave causerie S'arrte en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rve, l'heure O l'on entend gmir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux, Si l'aube tout coup l-bas luit comme un phare, Sa clart dans les champs veille une fanfare De cloches et d'oiseaux.

Enfant, vous tes l'aube et mon me est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez; Mon me est la fort dont les sombres ramures S'emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dors.

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bnies, N'ont point mal fait encor; Jamais vos jeunes pas n'ont touch notre fange, Tte sacre! enfant aux cheveux blonds! bel ange A l'aurole d'or!

Vous tes parmi nous la colombe de l'arche. Vos pieds tendres et purs n'ont point l'ge o l'on marche Vos ailes sont d'azur. Sans le comprendre encor vous regardez le monde. Double virginit! corps o rien n'est immonde, Ame o rien n'est impur!

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaiss, Laissant errer sa vue tonne et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune me la vie Et sa bouche aux baisers.

Seigneur! prservez-moi, prservez ceux que j'aime, Frres, parents, amis, et mes ennemis mme Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur, l't sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants.

DANS L'ALCVE SOMBRE

Beau, frais, souriant d'aise cette vie amre.—SAINTE-BEUVE.

Dans l'alcve sombre, Prs d'un humble autel, L'enfant dort l'ombre Du lit maternel. Tandis qu'il repose, Sa paupire ros, Pour la terre close, S'ouvre pour le ciel.

Il fait bien des rves. Il voit par moments Le sable des grves Plein de diamants, Des soleils de flammes, Et de belles dames Qui portent des mes Dans leurs bras charmants.

Songe qui l'enchante! Il voit des ruisseaux; Une voix qui chante Sort du fond des eaux. Ses soeurs sont plus belles; Son pre est prs d'elles; Sa mre a des ailes Comme les oiseaux.

Il voit mille choses Plus belles encor; Des lys et des roses Plein le corridor; Des lacs de dlice O le poisson glisse, O l'onde se plisse A des roseaux d'or!

Enfant, rve encore! Dors, mes amours! Ta jeune me ignore O s'en vont tes jours. Comme une algue morte Tu vas, que t'importe? Le courant t'emporte, Mais tu dors toujours!

Sans soin, sans tude, Tu dors en chemin, Et l'inquitude A la froide main, De son ongle aride, Sur ton front candide, Qui n'a point de ride, N'crit pas: "Demain!"

Il dort, innocence! Les anges sereins Qui savent d'avance Le sort des humains, Le voyant sans armes, Sans peur, sans alarmes, Baisent avec larmes Ses petites mains.

Leurs lvres effleurent Ses lvres de miel. L'enfant voit qu'ils pleurent Et dit: "Gabriel!" Mais l'ange le touche, Et, berant sa couche, Un doigt sur sa bouche, Lve l'autre au ciel!

Cependant sa mre, Prompte le bercer, Croit qu'une chimre Le vient oppresser! Fire, elle l'admire, L'entend qui soupire, Et le fait sourire Avec un baiser.

NOUVELLE CHANSON SUR UN VIEIL AIR

S'il est un charmant gazon Que le ciel arrose, O brille en toute saison Quelque fleur close, O l'on cueille pleine main Lys, chvrefeuille et jasmin, J'en veux faire le chemin O ton pied se pose.

S'il est un sein bien aimant Dont l'honneur dispose, Dont le ferme dvouement N'ait rien de morose, Si toujours ce noble sein Bat pour un digne dessein, J'en veux faire le coussin O ton front se pose!

S'il est un rve d'amour Parfum de rose O l'on trouve chaque jour Quelque douce chose, Un rve que Dieu bnit, Ou l'me l'me s'unit, Oh! j'en veux faire le nid O ton coeur se pose!

AUTRE CHANSON

L'aube et ta porte est close; Ma belle, pourquoi sommeiller? A l'heure o s'veille la rose Ne vas-tu pas te rveiller?

O ma charmante, coute ici L'amant qui chante Et pleure aussi!

Tout frappe ta porte bnie. L'aurore dit: Je suis le jour! L'oiseau dit: Je suis l'harmonie! Et mon coeur dit: Je suis l'amour!

O ma charmante, coute ici L'amant qui chante Et pleure aussi!

Je t'adore ange et t'aime femme. Dieu qui par toi m'a complt A fait mon amour pour ton me Et mon regard pour ta beaut.

O ma charmante, coute ici L'amant qui chante Et pleure aussi!

PUISQU'ICI-BAS TOUTE AME

Puisqu'ici-bas toute me Donne quelqu'un Sa musique, sa flamme, Ou son parfum;

Puisqu'ici toute chose Donne toujours Son pine ou sa rose A ses amours;

Puisqu'avril donne aux chnes Un bruit charmant; Que la nuit donne aux peines L'oubli dormant;

Puisque l'air la branche Donne l'oiseau; Que l'aube la pervenche Donne un peu d'eau;

Puisque, lorsqu'elle arrive S'y reposer, L'onde amre la rive Donne un baiser;

Je te donne cette heure, Pench sur toi, La chose la meilleure Que j'aie en moi!

Reois donc ma pense, Triste d'ailleurs, Qui, comme une rose, T'arrive en pleurs!

Reois mes voeux sans nombre, O mes amours! Reois la flamme ou l'ombre De tous mes jours!

Mes transports pleins d'ivresses, Purs de soupons, Et toutes les caresses De mes chansons!

Mon esprit qui sans voile Vogue au hasard, Et qui n'a pour toile Que ton regard!

Ma muse que les heures Bercent rvant, Qui, pleurant quand tu pleures, Pleure souvent!

Reois, mon bien cleste, O ma beaut, Mon coeur, dont rien ne reste, L'amour t.

OCEANO NOX

Oh! combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont vanouis! Combien ont disparu, dure et triste fortune! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l'aveugle ocan jamais enfouis! Combien de patrons morts avec leurs quipages! L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages, Et d'un souffle il a tout dispers sur les flots! Nul ne saura leur fin dans l'abme plonge. Chaque vague en passant d'un butin s'est charge; L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots! Nul ne sait votre sort, pauvres ttes perdues! Vous roulez travers les sombres tendues, Heurtant de vos fronts morts des cueils inconnus. Oh! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rve, Sont morts en attendant tous les jours sur la grve Ceux qui ne sont pas revenus!

On s'entretient de vous parfois dans les veilles. Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouilles, Mle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts Aux rires, aux refrains, aux rcits d'aventures, Aux baisers qu'on drobe vos belles futures, Tandis que vous dormez dans les gomons verts!

On demande:—O sont-ils? sont-ils rois dans quelque le? Nous ont-ils dlaisss pour un bord plus fertile? —Puis votre souvenir mme est enseveli. Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mmoire. Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire, Sur le sombre ocan jette le sombre oubli.

Bientt des yeux de tous votre ombre est disparue. L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue? Seules, durant ces nuits o l'orage est vainqueur, Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre, Parlent encor de vous en remuant la cendre De leur foyer et de leur coeur!

Et quand la tombe enfin a ferm leur paupire, Rien ne sait plus vos noms, pas mme une humble pierre Dans l'troit cimetire o l'cho nous rpond, Pas mme un saule vert qui s'effeuille l'automne, Pas mme la chanson nave et monotone Que chante un mendiant l'angle d'un vieux pont!

O sont-ils,les marins sombres dans les nuits noires? O flots, que vous savez de lugubres histoires! Flots profonds redouts des mres genoux! Vous vous les racontez en montant les mares, Et c'est ce qui vous fait ces voix dsespres Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!

NUITS DE JUIN

L't, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte La plaine verse au loin un parfum enivrant; Les yeux ferms, l'oreille aux rumeurs entr'ouverte, On ne dort qu' demi d'un sommeil transparent.

Les astres sont plus purs, l'ombre parat meilleure; Un vague demi-jour teint le dme ternel; Et l'aube douce et ple, en attendant son heure, Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

LA TOMBE DIT A LA ROSE

La tombe dit la ros: —Des pleurs dont l'aube t'arrose Que fais-tu, fleur des amours? La rose dit la tombe: — Que fais-tu de ce qui tombe Dans ton gouffre ouvert toujours?

La ros dit:—Tombeau sombre, De ces pleurs je fais dans l'ombre Un parfum d'ambre et de miel. La tombe dit:—Fleur plaintive, De chaque me qui m'arrive Je fais un ange du ciel.

TRISTESSE D'OLYMPIO

Les champs n'taient point noirs, les cieux n'taient pas mornes; Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes Sur la terre tendu, L'air tait plein d'encens et les prs de verdures, Quand il revit ces lieux o par tant de blessures Son coeur s'est rpandu.

L'automne souriait; les coteaux vers la plaine Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient peine, Le ciel tait dor; Et les oiseaux, tourns vers celui que tout nomme, Disant peut-tre Dieu quelque chose de l'homme, Chantaient leur chant sacr.

Il voulut tout revoir, l'tang prs de la source, La masure o l'aumne avait vid leur bourse, Le vieux frne pli, Les retraites d'amour au fond des bois perdues, L'arbre o dans les baisers leurs mes confondues Avaient tout oubli.

Il chercha le jardin, la maison isole, La grille d'o l'oeil plonge en une oblique alle, Les vergers en talus. Ple, il marchait.—Au bruit de son pas grave et sombre Il voyait chaque arbre, hlas! se dresser l'ombre Des jours qui ne sont plus.

Il entendait frmir dans la fort qu'il aime Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-mme, Y rveille l'amour, Et, remuant le chne ou balanant la rose, Semble l'me de tout qui va sur chaque chose Se poser tour tour.

Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire, S'efforant sous ses pas de s'lever de terre, Couraient dans le jardin; Ainsi, parfois, quand l'me est triste, nos penses S'envolent un moment sur leurs ailes blesses, Puis retombent soudain.

Il contempla longtemps les formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques; Il rva jusqu'au soir; Tout le jour il erra le long de la ravine, Admirant tour tour le ciel, face divine, Le lac, divin miroir.

Hlas! se rappelant ses douces aventures, Regardant, sans entrer, par-dessus les cltures, Ainsi qu'un paria, Il erra tout le jour. Vers l'heure o la nuit tombe, Il se sentit le coeur triste comme une tombe, Alors il s'cria :

—"O douleur! j'ai voulu, moi dont l'me est trouble, Savoir si l'urne encor conservait la liqueur, Et voir ce qu'avait fait cette heureuse valle De tout ce que j'avais laiss l de mon coeur!

"Que peu de temps suffit pour changer toutes choses! Nature au front serein, comme vous oubliez! Et comme vous brisez dans vos mtamorphoses Les fils mystrieux o nos coeurs sont lis!

"Nos chambres de feuillage en halliers sont changes; L'arbre o fut notre chiffre est mort ou renvers; Nos ross dans l'enclos ont t ravages Par les petits enfants qui sautent le foss.

"Un mur clt la fontaine o, par l'heure chauffe, Foltre, elle buvait en descendant des bois; Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fe, Et laissait retomber des perles de ses doigts!

"On a pav la route pre et mal aplanie, O, dans le sable pur se dessinant si bien, Et de sa petitesse talant l'ironie, Son pied charmant semblait rire ct du mien.

"La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre, O jadis pour m'attendre elle aimait s'asseoir, S'est use en heurtant, lorsque la route est sombre, Les grands chars gmissants qui reviennent le soir.

"La fort ici manque et l s'est agrandie.... De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant: Et, comme un tas de cendre teinte et refroidie, L'amas des souvenirs se disperse tout vent!

"N'existons-nous donc plus? Avons-nous eu notre heure? Rien ne la rendra-t-il nos cris superflus? L'air joue avec la branche au moment o je pleure; Ma maison me regarde et ne me connat plus.

"D'autres vont maintenant passer o nous passmes. Nous y sommes venus, d'autres vont y venir: Et le songe qu'avaient bauch nos deux mes, Ils le continueront sans pouvoir le finir!

"Car personne ici-bas ne termine et n'achve; Les pires des humains sont comme les meilleurs! Nous nous rveillons tous au mme endroit du rve. Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.

"Oui, d'autres leur tour viendront, couples sans tache, Puiser dans cet asile heureux, calme, enchant, Tout ce que la nature l'amour qui se cache Mle de rverie et de solennit!

"D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites. Ton bois, ma bien-aime, est des inconnus. D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrtes, Troubler le flot sacr qu'ont touch tes pieds nus.

"Quoi donc! c'est vainement qu'ici nous nous aimmes! Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris O nous fondions notre tre en y mlant nos flammes! L'impassible nature a dj tout repris.

"Oh! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mres, Rameaux chargs de nids, grottes, forts, buissons, Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures? Est-ce que vous direz d'autres vos chansons?

"Nous vous comprenions tant! doux, attentifs, austres, Tous nos chos s'ouvraient si bien votre voix! Et nous prtions si bien, sans troubler vos mystres, L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois!

"Rpondez, vallon pur, rpondez, solitude, O nature abrite en ce dsert si beau, Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau;

"Est-ce que vous serez ce point insensible De nous savoir couchs, morts avec nos amours, Et de continuer votre fte paisible, Et de toujours sourire et de chanter toujours?

"Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites, Fantmes reconnus par vos monts et vos bois, Vous ne nous direz pas de ces choses secrtes Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois?

"Est-ce que vous pourrez, sans tristesse et sans plainte, Voir nos ombres flotter o marchrent nos pas, Et la voir m'entraner, dans une morne treinte, Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas?

"Et s'il est quelque part, dans l'ombre o rien ne veille, Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports, Ne leur irez-vous pas murmurer l'oreille : —Vous qui vivez, donnez une pense aux morts?

"Dieu nous prte un moment les prs et les fontaines, Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds, Et les cieux azurs et les lacs et les plaines, Pour y mettre nos coeurs, nos rves, nos amours;

"Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme. Il plonge dans la nuit l'antre o nous rayonnons, Et dit la valle, o s'imprima notre me, D'effacer notre trace et d'oublier nos noms.

"Eh bien! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages; Herbe, use notre seuil! ronce, cache nos pas! Chantez, oiseaux! ruisseaux, coulez! croissez, feuillages! Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

"Car vous tes pour nous l'ombre de l'amour mme, Vous tes l'oasis qu'on rencontre en chemin! Vous tes, vallon, la retraite suprme O nous avons pleur nous tenant par la main!

"Toutes les passions s'loignent avec l'ge, L'une emportant son masque et l'autre son couteau, Comme un essaim chantant d'histrions en voyage Dont le groupe dcrot derrire le coteau.

"Mais toi, rien ne t'efface, Amour! toi qui nous charmes! Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard! Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes; Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard.

"Dans ces jours o la tte au poids des ans s'incline, O l'homme, sans projets, sans but, sans visions, Sent qu'il n'est dj plus qu'une tombe en ruine O gisent ses vertus et ses illusions;

"Quand notre me en rvant descend dans nos entrailles, Comptant dans notre coeur, qu'enfin la glace atteint, Comme on compte les morts sur un champ de batailles, Chaque douleur tombe et chaque songe teint,

"Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe, Loin des objets rels, loin du monde rieur, Elle arrive pas lents par une obscure rampe Jusqu'au fond dsol du gouffre intrieur;

"Et l, dans cette nuit qu'aucun rayon n'toile, L'me, en un repli sombre o tout semble finir, Sent quelque chose encor palpiter sous un voile ...— C'est toi qui dors dans l'ombre, sacr souvenir!"

A QUOI BON ENTENDRE

A quoi bon entendre Les oiseaux des bois? L'oiseau le plus tendre Chante dans ta voix.

Que Dieu montre ou voile Les astres des cieux! La plus pure toile Brille dans tes yeux.

Qu'avril renouvelle Le jardin en fleur! La fleur la plus belle Fleurit dans ton coeur.

Cet oiseau de flamme, Cet astre du jour, Cette fleur de l'me, S'appelle l'amour.

CHANSON

Si vous n'avez rien me dire, Pourquoi venir auprs de moi? Pourquoi me faire ce sourire Qui tournerait la tte au roi? Si vous n'avez rien me dire, Pourquoi venir auprs de moi?

Si vous n'avez rien m'apprendre, Pourquoi me pressez-vous la main? Sur le rve anglique et tendre, Auquel vous songez en chemin, Si vous n'avez rien m'apprendre, Pourquoi me pressez-vous la main?

Si vous voulez que je m'en aille, Pourquoi passez-vous par ici? Lorsque je vous vois, je tressaille, C'est ma joie et c'est mon souci. Si vous voulez que je m'en aille, Pourquoi passez-vous par ici?

QUAND NOUS HABITIONS TOUS ENSEMBLE

Quand nous habitions tous ensemble Sur nos collines d'autrefois, O l'eau court, o le buisson tremble, Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente; J'tais pour elle l'univers. Oh! comme l'herbe est odorante Sous les arbres profonds et verts!

Elle faisait mon sort prospre, Mon travail lger, mon ciel bleu. Lorsqu'elle me disait: Mon pre, Tout mon coeur s'criait: Mon Dieu!

A travers mes songes sans nombre, J'coutais son parler joyeux, Et mon front s'clairait dans l'ombre A la lumire de ses yeux.

Elle avait l'air d'une princesse Quand je la tenais par la main. Elle cherchait des fleurs sans cesse Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on drobe, En se cachant aux yeux de tous. Oh! la belle petite robe Qu'elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, auprs de ma bougie, Elle jasait petit bruit, Tandis qu' la vitre rougie Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle. Que son bonjour tait charmant! Le ciel mettait dans sa prunelle Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l'avais, si jeune encore, Vue apparatre en mon destin! C'tait l'enfant de mon aurore, Et mon toile du matin!

Quand la lune claire et sereine Brillait aux cieux, dans ces beaux mois, Comme nous allions dans la plaine! Comme nous courions dans les bois!

Puis, vers la lumire isole toilant le logis obscur, Nous revenions par la valle En tournant le coin du vieux mur;

Nous revenions, coeurs pleins de flamme, En parlant des splendeurs du ciel. Je composais cette jeune me Comme l'abeille fait son miel.

Doux ange aux candides penses, Elle tait gaie en arrivant ...— Toutes ces choses sont passes Comme l'ombre et comme le vent!

O SOUVENIRS! PRINTEMPS! AURORE!

O Souvenir! printemps! aurore! Doux rayon triste et rchauffant! —Lorsqu'elle tait petite encore, Que sa soeur tait tout enfant ...—

Connaissez-vous sur la colline Qui joint Montlignon Saint-Leu, Une terrasse qui s'incline Entre un bois sombre et le ciel bleu?

C'est l que nous vivions.—Pntre, Mon coeur, dans ce pass charmant!— Je l'entendais sous ma fentre Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rose, Sans bruit, de peur de m'veiller; Moi, je n'ouvrais pas ma croise, De peur de la faire envoler.

Ses frres riaient ...—Aube pure! Tout chantait sous ces frais berceaux, Ma famille avec la nature. Mes enfants avec les oiseaux?

Je toussais, on devenait brave. Elle montait petits pas, Et me disait d'un air trs grave: J'ai laiss les enfants en bas.

Qu'elle ft bien ou mal coiffe, Que mon coeur ft triste ou joyeux Je l'admirais. C'tait ma fe, Et le doux astre de mes yeux!

Nous jouions toute la journe. O jeux charmants! chers entretiens! Le soir, comme elle tait l'ane, Elle me disait:—Pre, viens!

Nous allons t'apporter ta chaise, Conte-nous une histoire, dis!— Et je voyais rayonner d'aise Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages, J'inventais un conte profond Dont je trouvais les personnages Parmi les ombres du plafond.

Toujours, ces quatre douces ttes Riaient, comme cet ge on rit, De voir d'affreux gants trs btes Vaincus par des nains pleins d'esprit.

J'tais l'Arioste et l'Homre D'un pome clos d'un seul jet: Pendant que je parlais, leur mre Les regardait rire, et songeait.

Leur aeul, qui lisait dans l'ombre, Sur eux parfois levait les yeux, Et moi, par la fentre sombre, J'entrevoyais un coin des cieux!

DEMAIN, DS L'AUBE

Demain, ds l'aube, l'heure o blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la fort, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixs sur mes penses, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courb, les mains croises, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyre en fleur.

VENI, VIDI, VIXI

J'ai bien assez vcu, puisque dans mes douleurs Je marche sans trouver de bras qui me secourent, Puisque je ris peine aux enfants qui m'entourent, Puisque je ne suis plus rjoui par les fleurs;

Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fte, J'assiste, esprit sans joie, ce splendide amour; Puisque je suis l'heure o l'homme fuit le jour, Hlas! et sent de tout la tristesse secrte;

Puisque l'espoir serein dans mon me est vaincu; Puisqu'en cette saison des parfums et des ross, O ma fille! j'aspire l'ombre o tu reposes, Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vcu.

Je n'ai pas refus ma tche sur la terre. Mon sillon? Le voil. Ma gerbe? La voici. J'ai vcu souriant, toujours plus adouci, Debout, mais inclin du ct du mystre.

J'ai fait ce que j'ai pu: j'ai servi, j'ai veill, Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine. Je me suis tonn d'tre un objet de haine, Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaill.

Dans ce bagne terrestre o ne s'ouvre aucune aile, Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, Morne, puis, raill par les forats humains, J'ai port mon chanon de la chane ternelle.

Maintenant mon regard ne s'ouvre qu' demi: Je ne me tourne plus mme quand on me nomme; Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme Qui se lve avant l'aube et qui n'a pas dormi.

Je ne daigne plus mme, en ma sombre paresse, Rpondre l'envieux dont la bouche me nuit. O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit, Afin que je m'en aille et que je disparaisse!

LE CHANT DE CEUX QUI S'EN VONT SUR MER

(Air breton.)

Adieu, patrie! L'onde est en furie. Adieu, patrie, Azur!

Adieu, maison, treille au fruit mr, Adieu, les fleurs d'or du vieux mur!

Adieu, patrie! Ciel, fort, prairie, Adieu, patrie, Azur!

Adieu, patrie! L'onde est en furie. Adieu, patrie, Azur!

Adieu, fiance au front pur, Le ciel est noir, le vent est dur.

Adieu, patrie! Lise, Anna, Marie! Adieu, patrie, Azur!

Adieu, patrie. L'onde est en furie. Adieu, patrie, Azur!

Notre oeil que voile un deuil futur Va du flot sombre au sort obscur.

Adieu, patrie! Pour toi mon coeur prie. Adieu, patrie, Azur!

LUNA

O France, quoique tu sommeilles, Nous t'appelons, nous, les proscrits! Les tnbres ont des oreilles, Et les profondeurs ont des cris.

Le despotisme pre et sans gloire Sur les peuples dcourags Ferme la grille paisse et noire Des erreurs et des prjugs;

Il tient sous clef l'essaim fidle Des fermes penseurs, des hros, Mais l'Ide avec un coup d'aile cartera les durs barreaux,

Et, comme en l'an quatre-vingt-onze, Reprendra son vol souverain; Car briser la cage de bronze, C'est facile l'oiseau d'airain.

L'obscurit couvre le monde, Mais l'Ide illumine et luit; De sa clart blanche elle inonde Les sombres azurs de la nuit.

Elle est le fanal solitaire, Le rayon providentiel. Elle est la lampe de la terre Qui ne peut s'allumer qu'au ciel.

Elle apaise l'me qui souffre, Guide la vie, endort la mort; Elle montre aux mchants le gouffre, Elle montre aux justes le port.

En voyant dans la brume obscure L'Ide, amour des tristes yeux, Monter calme, sereine et pure, Sur l'horizon mystrieux,

Les fanatismes et les haines Rugissent devant chaque seuil Comme hurlent les chiens obscnes Quand apparat la lune en deuil.

Oh! contemplez l'Ide altire, Nations! son front surhumain A, ds prsent, la lumire Qui vous clairera demain!

LE CHASSEUR NOIR

Qu'es-tu, passant? Le bois est sombre, Les corbeaux volent en grand nombre, Il va pleuvoir. Je suis celui qui va dans l'ombre, Le chasseur noir!

Les feuilles des bois, du vent remues, Sifflent ... on dirait Qu'un sabbat nocturne emplit de hues Toute la fort; Dans une clairire, au sein des nues, La lune apparat.

Chasse le daim, chasse la biche, Cours dans les bois, cours dans la friche, Voici le soir. Chasse le czar, chasse l'Autriche, O chasseur noir!

Les feuilles des bois, etc.

Souffle en ton cor, boucle ta gutre, Chasse les cerfs qui viennent patre Prs du manoir. Chasse le roi, chasse le prtre, O chasseur noir.

Les feuilles des bois, etc.

Il tonne, il pleut, c'est le dluge. Le renard fuit, pas de refuge Et pas d'espoir! Chasse l'espion, chasse le juge, O chasseur noir.

Les feuilles des bois, etc.

Tous les dmons de saint Antoine Bondissent dans la folle avoine Sans t'mouvoir; Chasse l'abb, chasse le moine, O chasseur noir!

Les feuilles des bois, etc.

Chasse les ours! Ta meute jappe. Que pas un sanglier n'chappe! Fais ton devoir! Chasse Csar, chasse le pape, O chasseur noir!

Les feuilles des bois, etc.

Le loup de ton sentier s'carte. Que ta meute sa suite parte! Cours! Fais-le choir! Chasse le brigand Bonaparte, O chasseur noir!

Les feuilles des bois, du vent remues, Tombent ... on dirait Que le sabbat sombre aux rauques hues A fui la fort; Le clair chant du coq perce les nues; Ciel! L'aube apparat!

Tout reprend sa force premire. Tu redeviens la France altire Si belle voir, L'ange blanc vtu de lumire, O chasseur noir!

Les feuilles des bois, du vent remues, Tombent ... on dirait Que le sabbat sombre aux rauques hues A fui la fort! Le clair chant du coq perce les nues; Ciel! L'aube apparat!

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