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Contes et lgendes - 1re Partie
by H. A. Guerber
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"Que voulez-vous?"

"Les revenus du gant!" rpondit Yvon sans se laisser dconcerter.

"Combien voulez-vous?" demanda brusquement le dmon.

"Pas plus que je ne puis porter," dit Yvon.

"Entrez!" fit le dmon, et il conduisit Yvon dans une grotte toute tincelante d'or, d'argent, et de pierreries. Yvon vit un sac terre; il le prit et le remplit d'or, d'argent, et de pierreries, et sortit en silence. Il descendit la montagne, et s'assit sur le banc devant la porte. Quelques minutes aprs le gant arriva.

"Avez-vous fait ma commission?" dit-il.

"Oui," rpondit le jeune homme, "je suis all l'abme sans fond, et j'ai touch vos revenus."

"Avez-vous le compte juste?" demanda le gant.

"Comptez vous-mme, et vous verrez!" dit le jeune homme en montrant le sac du doigt.

Le gant ouvrit le sac, compta les pierres prcieuses, et dit: "Misrable, vous n'avez pas fait ceci tout seul; vous avez sans doute vu ma Finette."

"Ah, mon matre, qu'est-ce donc que mafinette? Vous en parlez sans cesse; qu'est-ce?"

"Vous ne saurez que trop tt!" grommela le gant, et il partit.

Le lendemain matin il s'en alla cheval sans dire mot Yvon. Quand il fut hors de vue le jeune homme alla trouver Finette.

"Qu'avez-vous faire aujourd'hui," demanda Finette.

"Rien, absolument rien! J'ai vacance aujourd'hui!" rpondit Yvon.

"Oh," dit Finette, "c'est un mauvais signe. Allez vite vous asseoir sur le banc, devant la maison, et restez l jusqu' ce que je vienne."

Yvon obit regret. Quelques minutes aprs le gant revint. Il ne dit pas un seul mot Yvon, mais il entra dans la maison et dit Finette: "Prenez un couteau, coupez la gorge au jeune homme que vous trouverez assis devant la porte, et faites-en une bonne soupe. Je vais dormir; appelez-moi quand la soupe sera prte."

En disant ces mots, le gant alla se coucher, et quelques minutes aprs il tait profondment endormi, et on l'entendait ronfler par toute la maison. Finette prit un couteau, alla la porte, appela Yvon et lui raconta toute l'histoire.

"Finette!" dit Yvon, "vous n'allez srement pas me couper la gorge."

"Oh non!" dit Finette. "Donnez-moi le doigt." Elle coupa un peu le doigt d'Yvon, et trois gouttes de sang tombrent sur le pas de la porte.

"Venez avec moi maintenant," dit-elle. Yvon l'accompagna dans la maison. Ils firent un grand feu. Ils suspendirent une marmite sur le feu. Yvon remplit la marmite d'eau de la fontaine, et Finette y jeta des oignons, des carottes, des navets, du persil et des pommes de terre. Puis elle y jeta une paire de souliers, une paire de bas, une paire de pantalons, une chemise, une veste, un habit et un chapeau, et quitta la chambre.

Accompagne d'Yvon, elle alla dans la chambre o bouillait l'or. L elle fit trois boulets d'or. Puis elle alla dans la chambre o bouillait l'argent. L elle fit deux boulets d'argent. Puis elle alla dans la chambre o bouillait le cuivre. L elle fit un boulet de cuivre. Puis elle prit Yvon par la main, et dit:

"Fuyons, fuyons, avant que le gant se rveille," et ils s'enfuirent tous deux aussi vite que leurs jambes pouvaient les porter. Le gant dormit longtemps, enfin il se rveilla et cria: "Finette, la soupe est-elle prte?"

"Non, pas encore, mon matre," dit la premire goutte de sang.

Le gant se tourna, ferma les yeux et se rendormit. Il dormit longtemps. Enfin il se rveilla et cria: "Finette, la soupe est-elle prte?"

"Non, pas encore, mon matre," dit la seconde goutte de sang.

Le gant se tourna, ferma les yeux et se rendormit. Il dormit longtemps. Enfin il se rveilla et cria: "Finette, la soupe n'est-elle pas encore prte?"

"Non, mon matre, pas encore," rpondit la troisime goutte de sang.

Le gant se tourna, ferma les yeux et se rendormit. Il dormit longtemps. Enfin il se rveilla et cria: "Finette, la soupe est-elle prte?" Pas de rponse. Il cria de nouveau: "Finette, la soupe est-elle prte?" Toujours pas de rponse.

Il alla la cuisine. Finette n'y tait pas, mais la marmite tait sur le feu. La soupe bouillait fort. Le gant prit une cuillre, la plongea dans la soupe et retira un soulier. "Oh!" dit-il avec dgot.

Il plongea de nouveau la cuillre dans la soupe, et retira un bas. Il trouva les bas, les souliers, les pantalons, la chemise, la veste, l'habit, le chapeau; il trouva les navets et tous les autres lgumes, mais il ne trouva pas de viande frache. Il comprit enfin qu'Yvon et Finette s'taient chapps, et il se mit leur poursuite. Il courait si vite avec ses longues jambes que bientt il vit les fugitifs qui se dirigeaient vers la mer.

Finette vit aussi le gant; elle jeta le boulet de cuivre terre, et dit: "Boulet, sauvez-moi!"

l'instant la terre s'ouvrit, et un grand prcipice parut entre le gant et les fugitifs, qui fuyaient toujours. Le gant, furieux de trouver cet obstacle, arracha un grand arbre, le jeta en travers du prcipice, et se mit califourchon pour passer de l'autre ct.

Il arriva enfin de l'autre ct, et continua la poursuite. Pendant ce temps, Yvon et Finette taient arrivs au bord de la mer, mais il n'y avait pas de vaisseau en vue. Finette prit un boulet d'argent, le jeta la mer en disant: "Boulet, sauvez-moi!" et au mme instant parut un vaisseau, dans lequel Yvon et Finette s'embarqurent promptement, et qui fit voile aussitt.

Le gant arriva la plage (au bord de la mer) cet instant, et plongea dans l'eau pour saisir le bateau.

Alors Finette jeta le second boulet d'argent en disant: "Boulet, sauvez-moi." Au mme instant parut un poisson, un poisson monstre. Le gant vit le poisson. Il eut peur, et il retourna vite terre pendant qu'Yvon et Finette s'loignaient rapidement.

"Nous sommes sauvs," dit Yvon avec joie.

"Ah!" dit Finette, "ce n'est pas encore sr. Le gant a une tante qui est sorcire; elle essaiera de nous faire du mal, et je ne serai pas tranquille jusqu' ce que nous soyons maris dans l'glise du chteau de Kerver, car jusqu'alors elle peut exercer son pouvoir sur nous."

Yvon consola Finette. Le voyage fut trs agrable, et les jeunes gens dbarqurent enfin prs du chteau de Kerver. Le vaisseau disparut aussitt, et Yvon dit Finette:

"Ma chre amie, vous tes la plus belle et la plus charmante des femmes; il n'est donc pas convenable que vous entriez dans la maison de mon pre pied et ainsi vtue. Attendez-moi ici. J'irai au chteau chercher une belle robe et un bon cheval, et alors vous pourrez vous prsenter d'une faon convenable."

Finette objecta; elle dit qu'elle avait peur, mais Yvon insista tant qu'elle consentit enfin le laisser partir. Elle lui fit promettre cependant qu'il ne s'arrterait pas en route, qu'il ne mangerait pas et ne boirait pas avant de revenir la chercher.

Yvon partit, et Finette resta seule au bord de la mer pour attendre son retour. Le jeune homme arriva bientt au chteau de son pre. Il y trouva une grande socit, car une de ses soeurs se mariait. On le reut avec joie, mais il refusa de s'arrter, courut la chambre de ses soeurs chercher une belle robe, alla l'curie, prit deux chevaux, et se prpara partir.

A ce moment-l une belle dame aux cheveux d'or s'avana vers lui, une coupe d'or la main, et dit: "Monsieur Yvon, vous ne pouvez pas refuser de boire ma sant, ce serait trop impoli."

Yvon, sans penser la promesse qu'il avait faite Finette, prit la coupe, salua la belle dame, et but sa sant. Malheureusement cette coupe tait une coupe magique, et ds qu'Yvon eut got le vin, il oublia tout le pass. Il oublia entirement la pauvre Finette, descendit de cheval, donna la main la belle dame aux cheveux d'or, et entra dans la salle de festin, o il prit place ct d'elle, et mangea et but de bon apptit.

La pauvre Finette attendit en vain au bord de la mer jusqu'au soir. Alors elle prit la route du chteau. Elle arriva bientt une pauvre petite cabane, o demeurait une vieille femme. Cette vieille femme tait assise devant sa porte. Elle tait occupe traire sa vache. Finette avait bien faim et bien soif. Elle s'approcha donc de la vieille femme, et dit: "Voulez-vous me donner une tasse de lait, ma bonne femme?"

"Oui!" dit la vieille femme, "je vous donnerai une tasse de lait si vous remplissez mon seau d'or."

Finette prit un boulet d'or, le jeta dans le seau de la vieille femme, et l'instant le seau fut plein, tout plein de belles pices d'or. La pauvre femme regarda cet or avec la plus grande surprise. Enfin elle dit avec joie: "Je suis riche! Je suis riche! Ma belle demoiselle, je vous donne ma maison, ma vache, tout ce que je possde, except ce seau plein d'or. Je vais la ville, o je serai une grande dame, car je suis riche prsent, bien riche."

La vieille femme partit donc pour la ville, toute joyeuse de se trouver si riche. Finette se mit traire la vache, but du lait et entra dans la maison. La maison tait pauvre et sale, et Finette la regarda avec dgot. Enfin elle prit le second boulet d'or, le jeta dans le feu et dit: "Boulet, sauvez-moi." Le boulet se fondit, l'or se rpandit, et en quelques minutes toute la maison se trouva dore. La maison tait dore, non seulement l'intrieur, mais l'extrieur aussi, et tous les meubles et tous les ustensiles taient d'or.

Finette se coucha sur le lit d'or, et quelques minutes aprs elle s'endormit profondment. Pendant ce temps la vieille femme tait arrive la ville. Elle rencontra le bailli, qui dit: "Eh bien, la mre, o allez-vous?"

"Moi, je vais la ville. Je suis riche maintenant. Regardez mon or; je vais tre une grande dame!"

Le bailli regarda l'or avec surprise et avec une admiration intense. Il fit entrer la vieille femme chez lui, et pendant qu'il comptait les belles pices d'or elle lui raconta comment elle les avait obtenues. Le bailli rclama plusieurs pices d'or pour sa peine, recommanda la vieille femme de ne parler personne de la belle demoiselle qui lui avait donn tout cet or, et se coucha, dcid visiter la jeune fille le lendemain et demander sa main en mariage.

Quand Finette ouvrit les yeux, elle vit le bailli au pied de son lit. Il dit: "Mademoiselle, je suis venu pour vous pouser; levez-vous et suivez-moi l'glise!"

"Oh!" dit Finette, "je ne suis pas sre que vous ferez un bon mari!"

"Moi! Je ferai un mari excellent. Venez, venez tout de suite (immdiatement)."

"Ah," dit Finette, "un bon mari arrange toujours le feu pour sa femme. Arrangez le feu!"

"Trs-bien!" dit le bailli, "j'arrangerai le feu." Le bailli saisit les pincettes. Finette dit:

"Tenez-vous les pincettes, mon ami?"

"Oui," rpondit le bailli; "oui, mon amour; je tiens les pincettes!"

"Misrable, que les pincettes vous tiennent, et que vous teniez les pincettes jusqu'au coucher du soleil," dit Finette, en sortant de la maison. Au mme instant les pincettes commencrent danser.

Le pauvre bailli dansa aussi, car il ne pouvait se sparer des pincettes. Il dansa toute la journe, malgr sa fatigue, malgr ses cris, malgr ses larmes. Quand le soleil se coucha, il lcha les pincettes, et les pincettes le lchrent. Il ne resta pas dans la maison, il ne chercha pas Finette; au contraire, il retourna chez lui, et alla se coucher, car il tait bien bien fatigu.

Quand le soir arriva, Finette rentra. Elle soigna sa vache, but un peu de lait et se coucha.

Pendant ce temps la vieille femme avait racont son histoire une amie seulement, en secret. L'amie l'avait raconte une autre, en secret aussi. Celle-ci l'avait raconte une troisime, et avant la nuit, tout le monde parlait de la demoiselle, qui avait donn un seau d'or la vieille femme.

Le maire entendit cette histoire. Il se dit: "Quelle bonne chose que je ne sois pas encore mari. J'irai demain matin pouser cette demoiselle, et je serai riche, plus riche que cette vieille femme qui cause tant."

Quand Finette ouvrit les yeux le lendemain matin, elle vit le maire, qui lui dit: "Mademoiselle, levez-vous tout de suite; suivez-moi l'glise. Moi, le maire de la ville, je vous fais l'honneur de vous pouser."

"Oh!" dit Finette, "je ne suis pas sre que vous ferez un bon mari."

"Moi! Je ferai un mari excellent!" dit le maire pompeusement.

"Oh!" dit Finette, "un bon mari ferme toujours la porte!"

"Trs-bien," dit le maire, "je fermerai la porte," et il alla la fermer.

"Tenez-vous le pommeau de la porte, cher ami?" demanda Finette.

"Oui, mon amour; je tiens le pommeau de la porte!" rpondit le maire.

"Misrable, que le pommeau vous tienne, et que vous teniez le pommeau jusqu'au coucher du soleil!" dit la jeune fille, et elle alla au bord de la mer attendre Yvon.

Le pauvre maire tait attach la porte, qui s'ouvrait et se fermait violemment. Le maire tait lanc contre le mur extrieur, et contre le mur intrieur, et, malgr ses cris, malgr ses larmes, il continua cet exercice violent jusqu'au coucher du soleil. Alors il lcha la porte, la porte le lcha, et il rentra chez lui, et se mit au lit, car il tait bien fatigu.

La nouvelle de la grande fortune de la vieille femme tait arrive aux oreilles d'un bel officier, qui se dit: "Quelle bonne chose que je ne sois pas mari. J'irai demain matin, pouser cette belle demoiselle, et je serai trs riche."

Finette avait vainement attendu Yvon, et quand le soir arriva, elle rentra, soigna sa vache, but un peu de lait et se coucha. Quand elle ouvrit les yeux le lendemain matin, elle vit un bel officier, en uniforme, au pied de son lit.

"Mademoiselle," dit-il, "je suis venu pour vous pouser. Levez-vous et suivez-moi l'glise."

"Oh!" dit Finette, "je ne suis pas sre que vous ferez un bon mari."

"Cela n'est d'aucune importance!" dit l'officier. "Suivez-moi, ou je vous coupe la tte!" et le galant officier tira son sabre.

La pauvre Finette eut peur. Elle sauta du lit, et courut dans l'table. La vache recula effraye, et s'arrta dans la porte. L'officier ne pouvait pas entrer pour arriver Finette. Il prit la vache par la queue, et commena tirer. Finette dit: "Tenez-vous la queue?"

"Oh oui!" rpondit l'officier; "je tiens la queue."

"Misrable!" cria Finette, "que la queue vous tienne, et que vous teniez la queue jusqu'au coucher du soleil, et jusqu' ce que vous ayez fait le tour du monde ensemble."

Au mme moment la vache partit au grand galop, et l'officier, qui ne pouvait pas lcher la queue, fut oblig de suivre la vache. Ils allrent comme le vent. Ils traversrent les montagnes, les valles, les plaines, les lacs, les rivires, les mers, sans s'arrter un instant. Ils allrent si vite, qu'ils firent tout le tour du monde et arrivrent chez Finette au moment o le soleil se couchait. Alors la queue de la vache lcha l'officier, l'officier lcha la queue, et rentra vite chez lui, o il alla se coucher, car il tait bien fatigu de son long voyage.

Pendant ce temps Yvon avait entirement oubli la pauvre Finette. Il faisait la cour la belle dame aux cheveux d'or, et il avait demand sa main en mariage. Le jour de la noce (mariage) arriva. Yvon monta dans une belle voiture, avec la dame aux cheveux d'or et partit pour l'glise.

Le cocher fit claquer son fouet, les six chevaux s'lancrent en avant, et un trait se cassa. Le cocher arrta les chevaux. On raccommoda le trait. Le cocher fit claquer son fouet, les six chevaux s'lancrent en avant. Le trait se cassa de nouveau. On le raccommoda une seconde et une troisime fois.

Enfin le bailli, qui tait cheval dans la procession, s'approcha de la voiture et dit Yvon: "Mon jeune matre, voyez-vous cette petite maison qui brille l, entre les arbres. Dans cette maison il y a une dame. Cette dame a une paire de pincettes. Je suis sr qu'elle vous les prterait, et je suis certain que les pincettes tiendraient jusqu'au coucher du soleil."

Yvon fit un signe. Un domestique alla la maison de Finette et la pria de prter ses pincettes d'or son matre. Quelques minutes aprs le domestique arriva avec les pincettes. On s'en servit pour raccommoder le trait cass. Le cocher fit claquer son fouet. Les chevaux s'lancrent en avant, le trait ne se cassa plus, mais le fond de la voiture tomba!

"Halte, halte-l," cria Yvon. Le cocher arrta ses chevaux. Les charpentiers arrivrent. Ils replacrent le fond de la voiture, mais hlas, il tomba de nouveau, et de nouveau.

Enfin le maire s'approcha de la portire et dit: "Monsieur Yvon, voyez-vous cette petite maison qui brille l, entre les arbres. Dans cette maison demeure une dame. Elle a une porte merveilleuse. Je suis sr qu'elle vous prterait cette porte, et je suis certain que la porte tiendrait jusqu'au coucher du soleil."

Yvon fit un signe. Deux domestiques partirent. Quelques minutes aprs ils arrivrent avec la porte. Elle fut place au fond de la voiture, et tint ferme. Le cocher fit claquer son fouet. Les chevaux s'lancrent en avant, mais la voiture ne bougea pas. On attela huit, dix, douze, vingt-quatre chevaux la voiture, mais malgr tous leurs efforts la voiture ne bougea pas.

Enfin l'officier s'approcha de la portire et dit Yvon: "Mon matre, voyez-vous cette petite maison qui brille l, au milieu des arbres. Dans cette maison il y a une dame. Cette dame a une vache vraiment remarquable. Je suis sr qu'elle vous prterait sa vache, et je suis certain que la vache ferait le tour du monde s'il le fallait."

Yvon fit un signe. Deux domestiques partirent. Quelques minutes aprs ils arrivrent avec la vache. La vache fut attele la voiture. Elle partit au grand galop. Elle arriva l'glise, mais elle ne s'arrta pas la porte. Au contraire, elle fit le tour de l'glise vingt fois, puis elle ramena la voiture au chteau. "Il est trop tard pour le mariage aujourd'hui!" dit le baron Kerver. "Entrez, mes enfants, entrez. Nous aurons le festin aujourd'hui, et le mariage demain."

Yvon donna la main la belle dame aux cheveux d'or; il la conduisit table et s'assit ct d'elle.

Le baron dit: "La dame qui demeure dans la petite maison a t trs aimable. Elle nous a prt ses pincettes, sa porte, et sa vache. Elle mrite une rcompense." Alors il appela un domestique, et dit: "Allez la petite maison qui brille entre les arbres. Dites la dame qui y demeure que le baron Kerver lui fait ses compliments, et la prie de bien vouloir lui faire l'honneur de venir au festin de noce de son fils Yvon."

Le domestique partit. Quelques minutes aprs il tait de retour sans la dame.

"O est la dame?" dit le baron. "Pourquoi n'est-elle pas venue?"

"Mon matre," dit le domestique, "la dame a dit: 'Si le baron Kerver a vraiment envie que j'accepte son invitation, dites-lui de venir me chercher.'"

Le baron dit: "Cette dame a raison!"

Il fit venir son cheval, et il alla chercher Finette lui-mme, et l'escorta au chteau avec autant de crmonie que si elle avait t une princesse. Quand Finette arriva au chteau, le baron lui donna la place d'honneur. Tout le monde la regarda avec admiration. Tout le monde except Yvon, qui n'avait d'yeux et d'oreilles que pour la belle dame aux cheveux d'or.

Finette regarda tristement Yvon. Enfin elle prit le troisime et dernier boulet d'or, et dit tout bas: "Boulet, sauvez-moi." Un instant aprs elle avait une belle coupe d'or la main.

Elle remplit cette coupe de vin, la donna au domestique, et dit: "Portez cette coupe votre jeune matre, et dites-lui que la dame qui demeure dans la petite maison qui brille l entre les arbres, lui donne cette coupe et le prie de boire sa sant."

Le domestique fit la commission. Yvon prit la coupe. Il regarda dans la coupe, qui tait une coupe magique, et vit comme dans un miroir les diffrentes scnes de sa vie chez le gant, et son vasion avec Finette.

"Finette, ma chre Finette, o tes-vous?" cria-t-il. "Que fait cette femme ct de moi? Pourquoi est elle la place de ma chre Finette?" Il leva les yeux, vit Finette, se prcipita dans ses bras, l'embrassa mille fois, et lui demanda mille fois pardon. Finette lui pardonna de bon coeur, et le lendemain ils allrent l'glise ensemble.

Le trait ne se cassa pas, le fond de la voiture ne tomba pas, la voiture avana rapidement, sans encombre. Ils arrivrent l'glise l'heure, ils furent maris et ils furent toujours heureux, car la belle dame aux cheveux d'or, qui tait la sorcire, la tante du gant, avait disparu, et ne revint plus jamais en Bretagne.



LE RENARD ET LE LOUP.[17]

[Note 17: A Russian fable.]

Il y avait une fois un homme et une femme. L'homme tait g, et la femme aussi. Un jour l'homme alla la mer pour pcher. L'homme prit beaucoup de poissons. Il prit de grands poissons, de petits poissons, et des poissons de grandeur moyenne. Il prit tant de poissons qu'il tait impossible de les porter tous, et il les mit dans un char pour les porter la maison.

En route l'homme vit un renard couch au milieu de la route. L'homme descendit de son char. Il toucha le renard. Le renard ne bougea pas. "Oh!" dit l'homme "Le renard est mort. Voil un beau cadeau pour ma femme!" Il prit le renard. Il jeta le renard dans le char avec le poisson, et remontant dans le char, il continua son chemin (route).

Mais le renard n'tait pas mort comme le pauvre homme l'avait suppos. Il jeta tous les poissons du char, l'un aprs l'autre et quand il eut jet tous les poissons terre, il descendit aussi.

Arriv la maison, l'homme dit la femme:

"Ma femme, regardez le beau cadeau que je vous ai apport."

"O est ce cadeau?" demanda la femme.

"L, dans le char, sur le poisson."

La bonne femme regarda, et dit: "Mon mari, il n'y a ni poissons, ni cadeau dans le char."

L'homme tourna la tte, et vit que les poissons et le renard avaient disparu, et naturellement il tait bien dsappoint, car il avait pens obtenir beaucoup d'argent pour son poisson.

Le renard, qui avait pris tout le poisson, tait trs occup manger le poisson quand un loup arriva.

"Bonjour, mon frre," dit le loup.

"Bonjour," dit le renard.

"Donnez-moi des poissons," dit le loup.

"Allez en pcher," rpondit le renard.

"Mais je ne sais pas pcher!" dit le loup.

"C'est trs facile," dit le renard. "Allez sur la glace, prs d'un trou, plongez votre queue dans l'eau, et dites: 'Venez, venez, petits et gros poissons,' et dans quelques minutes tous les poissons viendront se pendre votre queue."

Le loup, enchant, alla la rivire. Il alla sur la glace; il trouva un trou; il plongea sa queue dans l'eau, et dit: "Venez, venez, petits et gros poissons." Le renard arriva alors, et dit tout doucement: "Que le ciel soit clair, clair, clair; que la queue du loup gle, gle, gle!"

"Que dites-vous, mon ami?" demanda le loup.

"Je vous aide," dit le renard, et il partit quelques minutes aprs.

Le loup resta l toute la nuit, enfin il voulut partir. Impossible. La queue tait prise dans la glace. Le loup pensa: "Oh, j'ai pris tant de poissons qu'il est impossible de les tirer tous hors de l'eau."

Les femmes du village arrivrent au trou pour chercher de l'eau. Quand elles virent le loup, elles se mirent crier aussi fort que possible:

"Au loup! Au loup! Tuez-le, tuez-le."

Tous les hommes arrivrent avec de grands btons. Les hommes frapprent le pauvre loup, qui arracha sa queue du trou et partit en toute hte en hurlant de douleur.

Pendant que les hommes et les femmes taient occups battre le pauvre loup, le renard tait entr dans les maisons, et il avait mang beaucoup de bonnes choses. Enfin le renard mit la tte dans un seau de pte, se barbouilla bien, et alla la rencontre du loup.

Le loup dit: "Mchant renard, regardez ma pauvre queue!"

"Oh!" dit le renard en gmissant, "regardez ma pauvre tte!"

"Oh!" dit le loup. "Les mchantes gens vous ont battu aussi, mon pauvre petit frre. Vous tes plus malade que moi, montez sur mon dos, je vous porterai la maison."

Le renard monta sur le dos du loup, et chanta gaiement:

"Celui qui a t battu Porte celui qui n'a pas t battu."

Mais le loup tait trop stupide pour comprendre, et il pensa seulement: "Mon petit frre est trs courageux. Il a la tte malade, et il chante gaiement. Moi, qui ai seulement la queue malade, je ne chante pas, oh non, je ne chante pas."



LA MAUVAISE FEMME.[18]

[Note 18: A Russian folktale.]

Il y avait une fois une mauvaise femme. Elle tait si mauvaise qu'elle se querellait avec tout le monde. Elle se querellait surtout avec son mari, et jamais elle ne faisait ce qu'il lui disait. Quand le mari disait: "Ma femme, levez-vous, s'il-vous-plat, pour faire le djeuner," elle restait trois jours au lit. S'il disait: "Ma femme, couchez-vous tt ce soir," elle restait debout toute la nuit.

Un jour l'homme dit sa femme: "J'aime beaucoup les crpes; faites-moi des crpes!"

La femme dit: "Non, misrable; vous ne mritez pas de crpes!"

Alors l'homme dit: "Trs-bien, si je ne mrite pas de crpes, n'en faites pas." La femme courut la cuisine et fit beaucoup de crpes. Elle fora son mari manger toutes les crpes, et il eut une attaque d'indigestion.

Fatigu de se quereller avec cette mchante femme, le pauvre homme alla un jour dans les bois chercher des fraises. Il arriva enfin au milieu de la fort, et s'assit sous un arbre. En regardant autour de lui il aperut un trou. Il alla au trou, regarda dedans (dans le trou) et vit qu'il tait sans fond. Il dit: "Ma femme est si mauvaise, et si dsagrable, que j'aimerais qu'elle ft dans ce trou-l."

Il retourna la maison et dit: "Ma femme, n'allez pas la fort cueillir des fraises."

La femme se prpara immdiatement aller dans la fort, et l'homme dit: "Eh bien, ma femme, si vous allez dans la fort, n'allez pas vous asseoir sous un grand arbre au centre de la fort."

La femme rpondit: "Mon mari, j'irai la fort, et j'irai m'asseoir sous le grand arbre au centre de la fort."

"Eh bien, ma femme, allez si vous voulez, mais ne regardez pas dans le trou."

La femme dit: "J'irai dans la fort, et je regarderai dans le trou!" La femme partit. Son mari la suivit. Elle arriva au centre de la fort, elle s'approcha du trou. Le mari arriva aussi, et poussa sa femme, qui tomba dans le trou sans fond.

Alors le mari retourna la maison. Il passa trois jours sans sa femme. Quand le quatrime jour arriva, il retourna la fort, s'approcha du trou, et il regarda dedans. Il avait apport une longue corde. Il attacha un bout de cette corde un arbre, et laissa tomber l'autre bout dans le trou. Aprs quelques minutes il retira la corde, et sa grande surprise il trouva un dmon attach la corde. Le pauvre homme avait peur. Il trembla, et il aurait rejet le dmon dans le trou si le pauvre dmon n'avait pas dit:

"Mon cher homme, je suis bien aise (content) de sortir de mon trou. Une mchante femme est arrive, et elle est si dsagrable que je prfre rester sur terre. Venez avec moi, et vous aurez une grande fortune. J'irai dans toutes les villes et dans tous les villages, et je tourmenterai tant toutes les femmes qu'elles seront dangereusement malades. Alors vous arriverez avec une mdecine qui les gurira."

Le dmon alla le premier, et toutes les femmes et toutes les jeunes filles tombrent malades. Alors le paysan arriva avec sa mdecine, et il gurit toutes les malades. Naturellement tout le monde payait cher cette mdecine, et le paysan fit une grande fortune en trs peu de temps.

Le dmon dit un jour au paysan: "Maintenant, paysan, je tourmenterai la fille du roi; elle sera malade, trs malade, mais je vous dfends de la gurir."

La fille du roi tomba malade. Le roi envoya chercher le mdecin, et dit: "Gurissez ma fille, ou vous prirez." Le dmon dit: "Ne gurissez pas la fille du roi, ou vous prirez." Le pauvre paysan se trouvait naturellement trs embarrass. Il pensa longtemps, puis il alla trouver tous les domestiques du roi, et dit: "Allez dans la rue, et criez aussi fort que possible: 'La mchante femme est arrive! la mchante femme est arrive!'"

Alors le paysan entra dans la maison du roi. Le dmon, qui tait dans la maison, dit: "Misrable, pourquoi arrivez-vous ici?"

Le paysan rpondit: "Mon pauvre dmon, la mchante femme est arrive."

"Impossible!" dit le dmon. Mais cet instant-l tous les domestiques du roi commencrent crier: "La mchante femme est arrive! la mchante femme est arrive!"

Le dmon dit au paysan: "Oh! mon ami, j'ai peur de la mchante femme. Dites-moi o me cacher." Le paysan dit: "Retournez dans votre trou. La mchante femme n'y retournera srement pas."

Le dmon partit bien vite, et il se prcipita dans le trou, o, hlas, il retrouva la mchante femme.

Le paysan gurit la fille du roi et reut une grande rcompense pour ses services.



BABA-IAGA.[19]

[Note 19: One of the folktales so popular among Russian peasants. All the witches are known as Baba-Iaga in Russia.]

Un homme avait perdu sa femme; il tait donc veuf, et il tait trs triste. Il avait une fille. Un jour il dit sa fille: "Mon enfant, je suis triste, je vais me remarier." En effet il prit une seconde femme, mais elle n'tait pas bonne du tout. Elle tait trs cruelle, et elle battait toujours la pauvre fille quand le pre tait sorti. Un jour la mchante femme dit la pauvre fille:

"Ma fille, allez vite chez votre tante, ma soeur, et dites-lui de vous prter une aiguille et du fil, car je veux vous faire une robe."

La jeune fille partit, mais elle alla d'abord visiter sa vraie tante; car elle avait peur de la soeur de sa belle-mre, qui s'appelait Baba-Iaga, et qui tait une sorcire renomme.

La vraie tante lui donna toutes les instructions ncessaires, et alors elle alla chez la sorcire Baba-Iaga. La sorcire tait dans sa chaumire (petite maison); elle tait trs occupe filer.

"Bonjour, ma tante," dit la jeune fille. "Ma belle-mre m'a envoye pour vous prier de lui prter une aiguille et du fil pour me faire une robe."

"Trs-bien," dit Baba-Iaga, "asseyez-vous l, et filez un instant."

La jeune fille s'assit la place de Baba-Iaga, et commena filer. La sorcire alla dans la cuisine, et dit sa servante: "Allez vite chauffer un bain, et lavez bien cette jeune fille, car j'ai l'intention de la manger dner."

La jeune fille entendit cet ordre cruel. Elle courut la servante, et lui dit: "Ma bonne amie, voici un joli mouchoir pour vous, si vous allumez le feu et si vous versez l'eau dessus (sur le feu)."

Quelques minutes plus tard la sorcire arriva la fentre, et cria: "Ma chre enfant, filez-vous?"

"Mais oui, ma tante, je file," dit la jeune fille.

La sorcire partit. La jeune fille donna un morceau de lard au chat, et dit: "Voulez-vous me dire comment on peut sortir d'ici?"

"Oui," dit le chat. "Voil un peigne et une serviette; prenez-les, et sauvez-vous vite. La sorcire vous poursuivra, et quand elle sera prs de vous, jetez la serviette; elle deviendra un large fleuve (rivire). Si la sorcire passe et s'approche de vous, jetez le peigne; il deviendra un bois si vaste et si pais qu'elle ne pourra pas le traverser."

La jeune fille prit le peigne et la serviette, et partit. Les chiens de la sorcire voulurent l'arrter. Elle leur jeta un morceau de pain, et ils la laissrent aller. Les portes voulurent aussi arrter la jeune fille; elle les graissa avec un peu de beurre qu'elle avait apport, et les portes s'ouvrirent et la laissrent passer. Le chat prit sa place, et quand la sorcire cria: "Ma chre enfant, filez-vous?" le chat rpondit: "Mais oui, ma chre tante, je file."

Mais bientt la sorcire arriva. Elle vit que le chat filait, et que la jeune fille s'tait sauve. La sorcire battit le chat, et dit: "Pourquoi n'avez-vous pas crev les yeux de la jeune fille?"

"Oh," dit le chat, "je suis votre service depuis longtemps, et vous ne m'avez jamais rien donn. La jeune fille m'a donn du lard!"

La sorcire dit la servante: "Pourquoi avez-vous vers de l'eau sur le feu? Pourquoi avez-vous permis la jeune fille de se sauver?"

"Oh," dit la servante, "la jeune fille est bonne; elle m'a donn un mouchoir; vous ne m'avez jamais rien donn."

La sorcire dit aux portes: "Pourquoi avez-vous permis la jeune fille de se sauver?"

Les portes rpondirent: "La jeune fille est bonne; elle nous a graisses avec du beurre. Nous avons cri depuis des annes, et vous ne nous avez jamais rien donn."

La sorcire dit aux chiens: "Pourquoi avez-vous permis la jeune fille de se sauver?"

Les chiens rpondirent: "La jeune fille est bonne; elle nous a donn du pain. Vous ne nous avez jamais rien donn."

Alors Baba-Iaga, la sorcire, partit en toute hte pour chercher la jeune fille; mais la jeune fille mit l'oreille terre et entendit venir la sorcire. Elle jeta la serviette derrire elle, et l'instant une large rivire commena couler.

Quand la sorcire arriva la rivire, elle tait furieuse. Elle retourna la maison, conduisit ses boeufs la rivire, et dit: "Mes boeufs, buvez l'eau, toute l'eau de la rivire afin que je puisse traverser."

Quand les boeufs eurent bu toute l'eau de la rivire, la sorcire continua la poursuite. Mais quand la jeune fille l'entendit venir, elle jeta le peigne derrire elle, et l'instant une fort paisse se trouva entre elle et la sorcire. La sorcire arriva. Elle vit la fort. Elle tait furieuse, mais elle ne pouvait pas la traverser.

La jeune fille arriva la maison, et son pre lui demanda:

"O avez-vous t, ma fille?"

"Mon pre, ma belle-mre m'a envoye chez la sorcire Baba-Iaga chercher une aiguille et du fil pour me faire une robe, et Baba-Iaga voulait me manger!"

"Ma pauvre fille," dit l'homme, "comment avez-vous fait pour vous sauver?"

La jeune fille raconta toute l'histoire l'homme, qui entra dans une grande colre et renvoya sa femme. Quand la mchante femme fut partie, il fut trs heureux avec sa fille, qui devint une excellente mnagre.

La jeune fille n'oublia cependant jamais ce que sa vraie tante lui avait dit, et quand elle fut mre elle rpta bien souvent ses enfants, en leur racontant l'histoire de ses aventures chez Baba-Iaga:

"Mes chers enfants, soyez toujours bons envers tous, et tout le monde sera bon envers vous. Si la sorcire avait bien trait sa servante, son chat, ses portes et ses chiens, je ne serais certainement pas ici, car elle m'aurait mange pour son dner."



LES NEZ.[20]

[Note 20: This is one of the Hungarian-Slavonian stories. Different versions have been given by Slavonic writers. Wratislaw gives a translation of it in his "Sixty Folk Tales," and Laboulaye has given his version of it in his "Fairy Book."]

Il y avait autrefois, prs de Prague, un vieux fermier, trs original, qui avait une fille extrmement belle. Les nombreux tudiants de l'universit de Prague faisaient souvent de longues promenades la campagne, et ils passaient souvent devant la maison, esprant voir la jeune fille, qui s'appelait Marie, et faire un peu de conversation avec elle.

Le fermier tant fort riche, plus d'un de ces tudiants aurait bien aim tre son gendre. Afin de trouver moyen de faire la cour la jolie Marie, les tudiants se dguisrent en domestiques, et vinrent offrir leurs services comme garons de ferme.

Le vieux propritaire, qui tait trs rus, s'aperut bientt de cette manoeuvre, et il dclara qu'il n'accepterait aucun domestique pour moins d'une anne, et jura que le garon serait forc de rester son service jusqu'au moment o le coucou chanterait au printemps.

Il ajouta qu'il se rservait aussi le droit de couper le nez des mcontents, en disant qu'on pourrait lui couper le sien, s'il lui arrivait de se mettre en colre. Malgr ces conditions bizarres, plusieurs jeunes gens entrrent au service du fermier, mais ils perdirent tous le nez, vu que le fermier s'amusait les faire enrager, et ds qu'ils se montraient mcontents, il les renvoyait aprs leur avoir amput le bout du nez.

Un jeune tudiant, nomm Coranda, arriva enfin la ferme bien rsolu d'pouser la fille du fermier. Celui-ci lui dit qu'il serait oblig de travailler jusqu'au moment o le coucou chanterait, mais que s'il lui arrivait une seule fois de se fcher il perdrait le nez.

Coranda consentit cet arrangement, et commena son service. Le fermier s'amusa le tourmenter de toutes les faons possibles. A table il ne le servit ni au dner ni au souper. Cependant il ne manqua pas de lui demander plusieurs fois s'il tait parfaitement content.

Coranda rpondit chaque fois avec une bonne humeur que rien ne pouvait branler, et aprs souper voyant qu'il mourrait de faim s'il ne se servait pas lui-mme, il prit le plus beau jambon qui se trouvait dans le garde-manger et une grosse miche de pain et se rgala bien.

La fermire s'tant aperue du vol, alla se plaindre son mari. Il plit de colre, et demanda Coranda comment il avait os se servir lui-mme.

Coranda rpondit navement que n'ayant rien mang de toute la journe il avait grand'faim, et ajouta: "Mais si vous n'tes pas content, mon matre, vous n'avez qu' le dire, et je partirai ds que je vous aurai amput le bout du nez."

Le fermier, qui n'avait aucune envie de subir cette petite opration, dclara avec emphase, qu'il tait parfaitement content, mais aprs cela il n'oublia plus jamais de servir le garon de ferme table.

Quand vint le dimanche, le fermier annona Coranda qu'il comptait aller l'glise avec sa femme et sa fille, et lui recommanda de faire la soupe pendant leur absence. "Voil la viande, les carottes, les oignons, et la marmite, et vous trouverez du persil dans le jardin."

Coranda promit de faire la soupe, et de ne pas oublier le persil, et le matre partit tout joyeux. Le garon de ferme commena ses prparatifs culinaires, mit la viande et les lgumes dans la marmite, puis il alla au jardin pour cueillir du persil. L, il trouva un petit chien, le favori du fermier, et comme cette petite bte s'appelait Persil, il la tua et la jeta dans le pot-au-feu.

Au retour de la ville, le fermier se mit table, et gota la soupe. Elle avait bien mauvais got, et il fit la grimace. Il n'osa cependant pas se plaindre, de peur de perdre le nez, et appela le petit chien pour la lui faire manger.

Bien entendu le chien n'arriva pas, et quand le matre alla sa recherche, il trouva la peau toute ensanglante de son pauvre favori. "Misrable," dit-il Coranda, "qu'avez-vous donc fait?"

"Moi," dit Coranda, "je vous ai tout bonnement obi. Vous m'avez dit de mettre du Persil dans la soupe et je l'ai fait; mais si vous n'tes pas content, vous n'avez qu' le dire, je vous couperai le bout du nez, et je partirai tout de suite."

"Mais non, mais non," dit le fermier, "je ne suis pas mcontent," et il s'en alla en soupirant.

Le lendemain le fermier alla au march avec sa femme et sa fille, et avant de partir il dit Coranda:

"Restez ici, et faites seulement ce que vous verrez faire aux autres."

Coranda, rest seul, regarda autour de lui et vit que les autres ouvriers avaient plac une chelle contre une vieille grange afin de grimper sur le toit pour le dmolir. Il courut donc chercher une chelle qu'il appuya contre la maison, et il se mit dmolir le toit neuf avec tant d'ardeur, que le fermier trouva sa maison expose tous les vents son retour.

Ce spectacle le mit en colre, mais quand Coranda lui dit qu'il lui couperait le nez s'il n'tait pas content, il sourit avec contrainte et dclara qu'il se trouvait parfaitement satisfait.

Le fermier, press de se dbarrasser d'un serviteur si incommode, consulta sa fille pour savoir comment il pourrait le renvoyer sans perdre le nez.

"Allez vous promener avec lui dans le grand pr derrire la maison," dit la jeune fille. "Je me cacherai dans les branches du pommier, et je ferai 'coucou, coucou.' Vous lui direz alors que vous l'avez engag seulement jusqu'au printemps, et qu'il peut s'en aller puisque le coucou a chant."

Le fermier, charm de cette bonne ide, alla se promener avec Coranda, et ds qu'il entendit chanter le coucou il lui donna son cong.

"Trs-bien, mon matre," rpondit Coranda, "mais comme je n'ai jamais vu de coucou il faut que je voie celui-l." En disant ces mots il courut au pommier et le secoua si vigoureusement que la jeune fille tomba terre comme une pomme mre.

Le fermier arriva en courant, car il croyait que la chute avait tu sa fille, et s'cria:

"Misrable, partez de suite, si vous ne voulez pas que je vous tue!"

"Partir," reprit Coranda, navement, "pourquoi partir? N'tes-vous pas content?"

"Non," hurla le fermier en colre. "Je ne suis pas content et..."

"Alors permettez-moi de vous couper le bout du nez..."

"Non, non," dit le fermier, en dtresse, "je veux garder mon nez, cote que cote. Laissez-le-moi, et je vous donnerai dix moutons!"

"Ce n'est pas assez!" dit Coranda.

"Dix vaches alors."

"Non! je prfre vous couper le nez!" La jeune fille lui demanda alors quel prix il consentirait pardonner son pre, et quand il dit qu'il le ferait seulement condition de l'obtenir pour femme, elle lui donna la main en rougissant. Coranda invita tous les tudiants ses noces, qui furent magnifiques, et il se montra si bon gendre et si bon mari que le fermier ne regretta jamais de l'avoir reu dans la famille plutt que de perdre son nez.

Quant la fille du fermier, elle aima beaucoup son mari, fut une bonne femme et leva ses enfants bien sagement. Quand ils n'taient pas contents, elle leur proposait en riant, de leur couper le bout du nez, une proposition qu'ils n'acceptrent jamais, je vous assure.



L'HOSPITALIT DU PACHA.[21]

[Note 21: An Arabian legend. The Mahometans are the followers of Mahomet. In Arabia and Turkey God is called Allah. A pacha is the same as a bashaw. The Koran is the Mahometan Bible.]

Il y avait dans une ville d'Asie un riche marchand, un pacha. Cet homme tait aussi bon que riche, et il observait tous les commandements du Koran avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Sa conduite tait si exemplaire que tout le monde l'admirait beaucoup, et on disait toujours en parlant de lui: "Il mrite toute la prosprit qu'Allah lui envoie."

Un jour le pacha tait assis dans son jardin. Il fumait sa longue pipe, et il souriait tout doucement en regardant ses nombreux enfants, qui jouaient autour de lui, et en admirant la grande beaut de ses femmes, car il en avait bon nombre comme tous les Mahomtans riches.

Vers le soir les femmes et les enfants retournrent leurs appartements, et le bon pacha, rest seul, rendit grces Allah (c'est ainsi que les Mahomtans appellent le bon Dieu) de lui avoir accord tant de bndictions. Tout coup un serpent arriva en toute hte, en criant:

"Protection! Protection, au nom d'Allah!"

"Au nom d'Allah et du Prophte je vous donne ma protection," dit le brave pacha. "Mais qui tes-vous? D'o venez-vous et pourquoi demandez-vous ma protection?"

"Je suis le roi des serpents, j'ai beaucoup d'ennemis, ils me poursuivent, et s'ils me trouvent ils me tueront! Cachez-moi, bon pacha, cachez-moi, au nom d'Allah!"

"Trs-bien," dit le pacha, "j'ai promis de vous protger; allez vous cacher sous mon divan!"

"Non! non!" dit le serpent. "Je suis sr que mes ennemis me trouveraient. Ils m'ont vu entrer dans votre maison, et ils seront bientt ici. Le seul moyen de bien me cacher, et de tenir votre parole de me protger au nom d'Allah et du Prophte, est celui-ci. Ouvrez la bouche toute grande, pacha, et permettez-moi de me cacher dans votre poitrine. Vite, vite; car j'entends mes ennemis qui arrivent en toute hte."

Le bon pacha pensa: "Le serpent est mon hte, et le Koran commande l'hospitalit. Or on ne doit jamais refuser un hte aucune requte, donc, bien que ce soit fort dsagrable de recevoir ce vilain serpent dans ma bouche, c'est mon devoir de le protger."

Le pacha ouvrit donc la bouche toute grande, et le serpent se glissa rapidement dans sa poitrine, juste au moment o ses ennemis entraient dans le jardin, en criant:

"O est notre ennemi? o est le tratre? mort, mort, mort!"

Le pacha leur demanda pourquoi ils criaient si fort. Ils rpondirent qu'ils avaient vu le serpent entrer dans la maison du pacha, et demandrent la permission de le chercher. Le pacha leur dit que sa maison et son jardin taient leur service, et ils commencrent chercher le serpent.

Ils cherchrent partout, ils allrent partout, ils regardrent dans tout, mais ils ne trouvrent pas le serpent, et ils partirent enfin en dclarant que le malin s'tait sans doute chapp. Quand ils furent partis, le pacha dit au serpent:

"Sortez sans crainte, vos ennemis sont tous partis; sortez vite, car vous gnez les battements de mon coeur."

"Non; je ne sortirai pas sans avoir une bouche de votre coeur ou de votre poumon. Choisissez!" dit le serpent cruel.

Le pacha lui reprocha son ingratitude, mais le serpent dit: "Que voulez-vous, mon cher pacha? C'est ma nature, et je suis vraiment bien bon de vous donner le choix. Mais, faites vite, car je suis bien press."

Le pacha dit alors: "Eh bien, puis qu'il n'y a aucune autre alternative, vous aurez le meilleur morceau de ma chair. Mais, permettez-moi de dire adieu mes enfants, et d'arranger les choses de faon donner ma mort l'apparence d'un accident. Car, si on savait que je suis mort parce que j'ai obi au Koran, les hommes penseraient qu'il ne faut plus montrer d'hospitalit personne et ils cesseraient de pratiquer les vertus que le Prophte recommande."

Le serpent consentit attendre encore un peu. Le pacha embrassa ses enfants, il arrangea ses affaires, il fit ses ablutions, puis il alla seul dans le jardin, et aprs avoir rcit une dernire prire, il dit au serpent: "Maintenant faites votre volont."

Au mme moment parut un jeune homme d'une beaut resplendissante, qui dit: "Pacha, confirmez votre foi. Prononcez trois fois le nom d'Allah, dtachez une feuille de cet arbre, posez-la sur votre bouche, et vous serez sauv."

"Qui tes-vous donc?" demanda le pacha, tout surpris.

"Je suis l'ange de l'hospitalit, et le Prophte m'a envoy pour vous sauver!"

En disant ces mots le messager cleste disparut aussi promptement qu'il avait paru.

Le pacha ne douta cependant pas. Il cueillit une feuille de l'arbre, la posa sur sa bouche, pronona trois fois le nom d'Allah, et le serpent sortit de sa poitrine, noirci et calcin par la justice divine, qui ne permet jamais que la vertu soit punie.

Le bon pacha qui avait t sauv ainsi par un miracle, remercia tous les jours Allah de l'avoir sauv de ce terrible danger. Il continua vivre heureux, au milieu de sa famille, et recommanda tous les jours ses enfants de ne pas oublier que le Koran commande l'hospitalit. Cette recommandation fut rpte par ses enfants ses petits-enfants, et tous les descendants du pacha sont renomms pour leur hospitalit.



LES DEUX FRRES.[22]

[Note 22: A Slavonic legend.]

Il y avait une fois un homme, bien pauvre, qui avait deux fils Jozka et Janko. L'an (=le plus g) de ces deux fils tait trs intelligent, et un jour son pre lui dit:

"Jozka, il est temps d'aller faire ton tour d'apprentissage."

Le jeune homme, qui tait trs content de voyager, reut la bndiction de son pre, quelques gteaux de sa mre, et partit gaiement. Il marcha longtemps, il traversa une montagne sombre, et il arriva enfin dans une prairie.

Comme il avait faim, il prit un des gteaux que sa bonne mre lui avait donns, et commena le manger de bon apptit. Les fourmis arrivrent aussitt, et crirent au jeune homme:

"Donne-nous un bien petit morceau de ton bon gteau!"

Mais Jozka tait gourmand et goste, et il refusa de leur en donner mme les miettes. Les fourmis, trs dsappointes, dirent alors:

"Tu n'es certainement pas gnreux, Jozka, et nous ne viendrons jamais ton secours quand tu seras dans la misre."

Jozka ne fit aucune attention cette menace, il finit tranquillement son repas et continua son voyage. Il arriva bientt au bord d'une rivire, et vit un pauvre petit poisson qui avait saut hors de l'eau, sur le rivage, et qui s'efforait vainement de rentrer dans son lment liquide. Il demanda du secours Jozka, qui lui donna un coup de pied au lieu de l'aider.

"Mchant," dit le poisson, "nous ne t'aiderons jamais."

Jozka ne fit pas attention au poisson, et continua son chemin. Enfin il arriva un carrefour. L des diables se disputaient et se battaient. Le jeune homme les regarda tranquillement et ne fit rien pour les sparer.

Les diables lui crirent:

"Tu es un goste, Jozka, et rien ne te russira dans ce monde."

Cette prdiction se vrifia bientt, et Jozka, fatigu de voyager sans profit, retourna chez son pre o son frre cadet (= plus jeune) lui fit des reproches, parce qu'il n'apportait rien la maison.

Le pre dcida alors qu'il tait temps d'envoyer Janko dans le monde, et il lui donna une petite bouteille, qui contenait une eau magique qui gurissait toutes les maladies. La mre lui donna une miche de pain, et il partit gaiement.

Il marcha droit devant lui, traversa la mme montagne sombre que son frre avait traverse, et arriva dans la mme prairie.

Comme il avait bien faim, il s'assit sous un arbre, prit un morceau de pain et commena manger de grand apptit.

Les fourmis arrivrent aussitt, en criant: "Nous avons faim aussi, donne-nous un peu de ton pain."

"Avec le plus grand plaisir," dit Janko, qui tait bon et gnreux, et il coupa un morceau de pain qu'il mietta pour les fourmis.

Elles taient si reconnaissantes qu'elles le remercirent bien des fois et dirent aussi:

"Bon Janko, nous viendrons ton secours."

Janko continua sa route. Il arriva prs d'un lac. L il vit un pauvre petit poisson sur le rivage. Il le prit, et le mit dans l'eau en disant:

"Pauvre petit poisson, tu es fait pour vivre dans l'eau, et non sur la terre."

Le petit poisson, heureux de se retrouver dans son lment, le remercia, et dit:

"Bon Janko, nous te viendrons en aide!"

Le jeune homme continua son voyage, et arriva avant longtemps au carrefour, o les diables se disputaient et se battaient. Il les regarda un instant avec chagrin, puis il les spara et rtablit le bon accord parmi eux. Les diables le remercirent et partirent, en disant:

"Bon Janko, nous viendrons ton secours."

Janko nota ce dtail dans sa mmoire, et continua son chemin. Il arriva une ville. L il trouva tout le monde en dtresse, car la fille du roi tait dangereusement malade, et tous les mdecins disaient qu'elle allait mourir. Janko alla une auberge (= petit htel), appela l'aubergiste et dit:

"Allez vite au palais, et annoncez au roi que je suis le premier mdecin du monde. Je gurirai sa fille malade." L'aubergiste alla bien vite au palais, et dit au roi:

"Le premier mdecin du monde est mon auberge. Il dit qu'il gurira la princesse."

Le roi, enchant, fit venir Janko, et dit: "Monsieur le mdecin, si vous gurissez ma fille, je vous la donnerai pour femme."

Janko prit sa petite bouteille et donna un peu de son eau magique la princesse, qui se trouva mieux aprs la premire dose, et qui au bout de quelques jours tait compltement gurie.

Mais elle n'avait pas envie d'pouser le mdecin, et dit son pre:

"Mon pre, je refuse d'pouser ce jeune homme."

Le roi insista, et la princesse rpondit:

"Eh bien, je l'pouserai, mais seulement condition qu'il accomplisse les trois choses que je lui dirai."

Janko consentit cette condition, et dit: "J'accomplirai ces choses si elles sont possibles et si Dieu m'aide."

La princesse prit deux sacs de graines de pavot et deux sacs de cendres. Elle mla les graines de pavot et les cendres, appela Janko, et dit "Janko, si vous sparez les graines de pavot des cendres avant demain matin, je suis vous."

Janko tait bien embarrass. Il n'tait pas habile, et il alla dans la prairie, o il commena pleurer et prier Dieu de lui venir en aide. Tout coup une quantit de fourmis arrivrent, en disant:

"Ne dsespre pas, Janko; tu nous as aides, maintenant nous t'aiderons;" et les fourmis sparrent les graines de pavot des cendres.

La princesse tait surprise et dsappointe, et dit Janko:

"Vous avez accompli une des conditions, mais il faut que vous me procuriez la perle la plus prcieuse du fond de la mer."

Janko alla au bord du lac, et pleura amrement. Tout coup un poisson parut la surface de l'eau, et dit:

"Janko, pourquoi pleures-tu?"

Le jeune homme confia ses peines au poisson, qui lui promit la perle, en disant:

"Tu nous as aids, nous t'aiderons."

Quelques minutes plus tard il arriva avec la perle dsire, que la princesse admira beaucoup. Puis elle dit Janko:

"Vous avez accompli deux des conditions; maintenant je vous pouserai si vous me rapportez une rose de l'enfer."

Janko courut au carrefour, o il avait rencontr les diables, et frappa la porte de l'enfer. Les diables ouvrirent la porte, et lui donnrent la rose qu'il demandait.

La belle princesse reut la rose avec grand plaisir et consentit enfin pouser Janko, qui invita ses parents la noce. Le frre Jozka fut aussi invit, et quand il entendit l'histoire de son frre, il comprit que l'gosme est un mauvais moyen de faire fortune, et qu'on a souvent besoin d'un plus petit que soi.



LE BERGER ET LE DRAGON.[23]

[Note 23: A Servian tale.]

Il y avait une fois un berger qui gardait ses moutons sur la montagne. C'tait en automne, au temps o les serpents vont dormir dans la terre, et le berger en entendant un petit bruit, leva la tte pour voir quelle en tait la cause.

Il vit un grand nombre de serpents qui en arrivant prs d'un certain rocher le touchaient d'une herbe qu'ils tenaient la bouche. Au moment o l'herbe touchait le rocher, le rocher s'ouvrait, et les serpents entraient ainsi, l'un aprs l'autre, dans la montagne.

Le berger appela son chien; il lui confia les moutons, et cueillant un brin d'herbe il toucha le rocher, qui s'ouvrit. Le berger entra dans une grotte, dont les murs taient couverts d'or, d'argent et de pierres prcieuses. Au centre de la grotte il y avait un trne, et sur ce trne il y avait un serpent immense. Tous les autres serpents groups autour de lui dormaient comme lui.

Le berger examina la grotte, regarda les serpents, et quand il eut tout vu il dit: "C'est assez maintenant," et voulut partir. Mais le rocher tait ferm, et comme il ne pouvait pas sortir il s'enveloppa dans son manteau, se coucha terre, et dormit comme les serpents.

Il se rveilla seulement quand il entendit un bruit trange, et quand il ouvrit les yeux il vit que tous les serpents taient rveills. Ils taient groups autour du trne, et ils demandaient tous la fois:

"Est-il temps, mon roi, est-il temps?"

Le roi des serpents resta immobile encore quelques minutes, puis il dit:

"Il est temps!" En disant ces mots il descendit de son trne, et se dirigea vers le rocher, suivi de tous les autres serpents. Arriv au rocher, le roi le toucha. Le rocher s'ouvrit; les serpents sortirent tous, suivis de leur roi. Mais quand le berger voulut sortir aussi, le rocher se referma.

"Roi des serpents, laissez-moi sortir!" cria le berger de toutes ses forces.

"Non, non," dit le roi; "restez-l, mon ami."

"Mais, j'ai assez dormi!" dit le berger. "Mon troupeau m'attend; laissez-moi sortir."

"Je vous laisserai sortir seulement condition que vous juriez solennellement que vous ne rvlerez personne o vous avez dormi, ni comment vous tes entr dans la grotte aux serpents!" dit le roi.

Le berger jura trois fois, le rocher s'ouvrit, et il se trouva sur la montagne. Mais quel changement! Ce n'tait plus l'automne, c'tait le printemps! Le berger pensa sa femme, et descendit la montagne aussi vite que possible, car il avait peur d'tre grond parce qu'il tait rest si longtemps absent.

Quand il arriva prs de la maison il vit un monsieur la porte, et il entendit qu'il disait la femme:

"Ma bonne femme, votre mari est-il chez lui?"

"Mais non, monsieur," rpondit la femme.

"Il est parti pour la montagne l'automne dernier, et comme il n'est pas revenu, je crains (j'ai peur) que les loups ne l'aient mang." Et elle commena pleurer.

"Les loups ne m'ont pas mang!" cria le berger. "Me voil."

Quand la femme vit le berger, elle cessa de pleurer, et dit:

"Eh bien, paresseux, o avez-vous t tout l'hiver?"

L'homme, n'osant dire la vrit, rpondit: "J'ai t dans le parc aux moutons o j'ai dormi tout l'hiver!"

"Imbcile," dit la femme, en colre.

Le beau monsieur dit: "Allons donc, berger, ce n'est pas vrai, ce que vous dites l. Si vous me dites o vous avez pass l'hiver, je vous donnerai une grande somme d'argent."

Tourment par sa femme et par le beau monsieur, le berger raconta enfin tout ce qui lui tait arriv. Le beau monsieur, qui tait magicien, le fora alors le conduire la montagne, et ouvrir le rocher en le touchant avec l'herbe merveilleuse. Quand le rocher fut ouvert, le magicien prit son livre et commena lire. Tout coup on entendit un bruit terrible, et un dragon sortit.

Ce dragon tait le vieux serpent, le roi. Il tait furieux contre le berger, qui avait rvl le secret de la grotte aux serpents. Le magicien donna vite une corde au berger, en disant: "Jetez-lui ce licol au cou!"

Le pauvre berger obit malgr lui, et tout coup il se trouva assis sur le dos du dragon, qui volait rapidement par-dessus les montagnes et les mers. Le pauvre berger tait trs effray, car le dragon allait toujours plus vite, et montait toujours plus haut. Enfin le berger aperut une petite alouette, et lui cria:

"Alouette, chre petite alouette, oiseau cher Dieu, allez, je vous en prie, auprs du Pre cleste; racontez-lui mes peines. Dites-lui qu'un pauvre berger lui souhaite le bonjour, et qu'il le prie de le secourir."

L'alouette fit la commission du berger. Le Pre ternel eut compassion du pauvre homme; il crivit un mot, en lettres d'or, sur une feuille qu'il cueillit d'un arbre dans le Paradis. Il donna cette feuille l'alouette, et lui ordonna de la laisser tomber sur la tte du dragon.

L'alouette s'envola, laissa tomber la feuille sur la tte du dragon, et l'instant mme le dragon et le berger tombrent terre. Quand le berger revint lui, il vit qu'il tait sur la montagne, et au bout de quelques minutes il s'aperut qu'il avait eu un mauvais rve, car son chien tait ct de lui, les moutons autour de lui, et c'tait en automne tout comme quand il s'tait endormi quelques heures avant.



LES DEUX AUMNES.[24]

[Note 24: This story is adapted from a legend published in "Le Magasin Pittoresque," a popular French periodical.]

Une pauvre vieille femme tait assise au bord de la route. Elle avait froid, car la neige tombait; et elle avait faim, car elle n'avait rien mang de toute la journe. Elle tait assise l, et elle attendait patiemment, esprant qu'un voyageur compatissant lui donnerait un peu d'argent pour acheter du pain et du bois pour faire un peu de feu dans sa pauvre petite maison o il faisait si froid.

Le premier homme qui passa la regarda avec compassion, et dit: "Pauvre femme, voil un temps bien dur pour mendier sur la route. Dieu vous assiste," et il continua son chemin, d'un pas rapide, sans lui donner un seul sou, car il avait de gros gants, et il aurait t oblig de les ter pour mettre la main dans sa poche. Il aurait eu froid aux doigts en dliant les cordons de sa bourse, et il n'eut pas le courage de s'arrter.

La pauvre vieille femme, toute dsappointe qu'elle tait, remercia cependant le voyageur de ses bonnes paroles, et quand il lui dit: "Dieu vous assiste!" elle rpondit: "Merci bien, mon bon monsieur, Dieu vous le rende."

Peu de temps aprs un second voyageur passa en voiture. Il tait tout envelopp dans une ample fourrure, il vit la pauvre femme, et, touch de sa misre, il mit une main dans sa poche et de l'autre baissa la fentre de la voiture.

"Oh!" dit-il, "quel terrible froid!" et il appela la pauvre vieille femme, qui arriva aussi vite que possible. Il lui tendit l'argent et s'aperut seulement alors qu'il s'tait tromp, et que c'tait une pice d'or et non pas la petite pice blanche qu'il pensait donner. "C'est beaucoup trop!" dit-il, et il allait retirer la main, mais le froid lui fit lcher la pice d'or, qui tomba dans la neige.

Il ferma la fentre, la voiture repartit et il se dit philosophiquement: "C'est trop, mais enfin je suis bien riche, et je puis me payer la fantaisie de faire une bonne action de temps en temps."

La pauvre mendiante, genoux dans la neige, cherchait la pice d'or, et ses mains froides fouillaient sans cesse, car la malheureuse femme tait non seulement pauvre et ge, mais elle tait aussi aveugle.

Pendant ce temps l'homme riche tait rentr chez lui. Assis devant un bon feu, aprs avoir bien dn, il dit:

"Il ne fait pas aussi froid que je croyais. J'ai trop donn cette pauvre femme. Fera-t-elle bon usage de cette pice d'or? Enfin, ce qui est fait, est fait. J'ai t gnreux, trs gnreux, et Dieu, sans doute, me rcompensera, car il aime les bonnes actions."

L'autre voyageur tait arriv l'auberge o il avait trouv un bon feu et un bon dner qui l'attendait. Mais la pense de la pauvre femme lui revint la mmoire. Il regretta beaucoup de ne pas lui avoir donn un peu d'argent, et au lieu de s'asseoir devant le feu et de manger la bonne soupe chaude que le domestique apportait, il lui dit: "Mettez deux couverts; je reviens l'instant!" et sortit en toute hte.

Il arriva bientt l'endroit o il avait vu la vieille femme et la trouva fouillant dans la neige.

"Que cherchez-vous l, ma bonne femme?"

"Une aumne, qu'un monsieur m'a jete!"

"Oh! elle est perdue dans la neige. Venez avec moi; nous irons l'auberge, o un bon feu nous attend, et la soupe aussi."

Le voyageur s'aperut alors pour la premire fois que la vieille femme tait aveugle, il la prit donc par le bras et la conduisit l'auberge, o il l'installa table, devant le feu, et lui fit manger un bon dner.

Deux anges ce jour-l prirent la plume, l'un pour effacer la mention de la pice d'or sur le livre o le matre de la voiture inscrivait tous ses bienfaits, et l'autre pour inscrire sur le livre du piton le bon dner de la pauvre mendiante.



L'AMOUR D'UNE MRE.[25]

[Note 25: This is a popular tale in Touraine, in Central France. It is merely the French version of the tale told by every nation, and has innumerable counterparts. Tours is the capital of the province of Touraine. The Loire is one of the great rivers in France, which it divides into two almost equal parts.]

Au centre de la France, au bord de la Loire, et tout prs de la ville de Tours, demeurait une fois un vigneron appel Jean Bourdon. Il tait bon travailleur, mais il tait violent de caractre, et il ne supportait pas patiemment sa pauvret.

Un jour en rentrant de sa vigne, il se disait sans cesse: "Oh! si mon oncle tait seulement mort, je serais riche, bien riche, et je ne serais plus oblig de travailler."

Quelques minutes aprs il vit son oncle prs d'une carrire au bord du chemin. Le dmon lui parla, et dit: "Poussez votre oncle; il tombera dans la carrire, et sera mort; tout le monde pensera que c'est un accident, et vous serez riche, bien riche, car vous tes son seul hritier."

Le vigneron excuta immdiatement cette mauvaise pense, et ce fut seulement aprs que le crime eut t commis, qu'il comprit qu'il tait un assassin et qu'il mritait la prison et mme la mort. Il regretta amrement sa violence, et continua son chemin en tremblant, et en regardant sans cesse de tous cts pour voir si quelqu'un tait en vue qui pourrait le dnoncer la police. Il trembla plus fort encore quand il sentit une main sur son paule, et quand une voix moqueuse lui dit l'oreille:

"Eh bien, votre oncle est mort. Vous l'avez tu pour hriter de sa fortune. J'ai tout vu, mais si vous me donnez ce que je vous demande, je ne vous dnoncerai pas."

"Oh oui, je vous donnerai tout ce que vous voudrez, tout. Je vous le promets," s'cria le pauvre homme, qui avait bien peur.

"Trs-bien, je demande votre fils. Je le rclamerai dans trois jours moins que vous ne deviniez mon nom."

En disant ces mots, le dmon—car c'tait un dmon,—disparut, et le pauvre vigneron rentra chez lui. Mais il tait si triste la pense de perdre son fils, et si tourment de remords la pense de son crime, qu'il lui fut impossible de manger ou de dormir.

Sa femme, inquite de le voir si ple, lui demanda enfin ce qu'il avait, et le pauvre homme lui avoua tout. La femme ne lui reprocha pas sa conduite, mais elle courut toute tremblante l'glise o elle raconta toute l'histoire au cur, qui tait un brave homme, et qui avait la rputation d'un grand savant et d'un grand saint.

Le cur lui parla longtemps, et quand elle revint la maison, elle dit son mari: "Allez l'endroit o vous avez vu le dmon, et appliquez-vous deviner son nom en priant Dieu de vous aider." L'homme alla l'endroit o il avait commis son crime, mais le souvenir de ce crime l'empcha de concentrer assez ses penses. Il rptait sans cesse: "Oh! que j'aimerais savoir le nom de ce dmon," mais comme il pensait plus son crime qu' autre chose, il ne trouva pas le nom du dmon.

Le second jour la femme alla l'endroit. Elle tait dcide sauver son enfant, et elle concentra si bien toute son attention, que bientt elle entendit une petite voix sous terre, qui chantait tout doucement:

"Dormez, mon enfant, dormez bien. Votre papa, le dmon Rapax, est parti pour vous chercher un petit compagnon; dormez, dormez bien."

La femme rentra toute joyeuse, et quand le dmon se prsenta le lendemain pour rclamer son enfant, elle lui cria joyeusement: "Eh, bonjour, Monsieur Rapax, comment vous portez-vous?"

Le dmon, tout surpris, partit sans l'enfant, et quelques minutes aprs le vigneron faillit mourir de joie en voyant son oncle, qu'il croyait avoir tu, et qui venait l'inviter souper. Le mchant dmon Rapax, sachant que le vigneron tait violent et envieux, l'avait tromp pour obtenir l'enfant. Grce la bonne petite femme il n'avait pas russi, mais une chose bien certaine c'est que Bourdon ne fut plus jamais violent, il avait trop peur de commettre un crime, et il savait que le remords n'est pas une sensation agrable.



LE CHEVEU MERVEILLEUX.[26]

[Note 26: This is one of the Servian national tales; different versions of it can be found in Wratislaw's "Folk Tales," and in the "Magasin Pittoresque."]

Il y avait une fois un homme trs pauvre, qui avait beaucoup d'enfants. Sa famille tait si nombreuse qu'il lui tait impossible de trouver assez manger pour ses enfants. Tous les jours il disait sa femme: "Ma femme, les enfants ont faim. Il m'est impossible de trouver assez manger pour eux. Je pense que la meilleure chose faire serait de me tuer avec eux."

"Patience!" disait la pauvre femme; "patience, mon ami, ne vous tuez pas aujourd'hui."

Une nuit le pauvre homme vit en songe un enfant qui lui disait:

"Pauvre homme, vous tes bien malheureux; mais coutez-moi bien, et vous serez heureux. Demain matin vous trouverez sous votre oreiller un miroir, du corail et un mouchoir. Prenez ces trois objets, ne parlez personne, et allez dans la montagne. Vous trouverez une petite rivire. Suivez le cours de la rivire, et vous arriverez la source.

"L vous verrez une belle jeune fille. La jeune fille vous parlera, mais ne rpondez pas. Si vous parlez, elle vous changera en poisson ou en un autre animal. Asseyez-vous ct de la jeune fille. Elle placera sa tte sur vos genoux. Alors vous chercherez avec soin. Quand vous aurez trouv un cheveu rouge, arrachez-le.

"Sauvez-vous immdiatement avec ce cheveu rouge. La jeune fille vous poursuivra. Jetez le mouchoir, le corail et le miroir, l'un aprs l'autre, et elle s'arrtera pour les regarder. Continuez votre route, vous arriverez la ville, vous vendrez le cheveu un homme riche pour une grande somme d'argent, et vous serez assez riche pour lever tous vos enfants."

Le lendemain matin, quand le pauvre homme s'veilla, il mit la main sous son oreiller. Il trouva le mouchoir, le corail et le miroir. Il partit pour la montagne. Il arriva la rivire. Il suivit le cours de la rivire, et il arriva la source. L il vit une belle jeune fille, qui lui dit:

"D'o venez-vous, brave homme?"

Il ne rpondit rien. Elle rpta la question, mais il ne parla pas. Il s'assit ct d'elle sans parler. Elle plaa sa tte sur les genoux de l'homme. L'homme chercha avec soin et bientt il trouva un cheveu rouge. Il arracha le cheveu rouge et partit en courant. La jeune fille poursuivit l'homme. Elle courait plus vite que lui. Quand il vit qu'elle allait l'atteindre, il jeta le mouchoir. La jeune fille, qui n'avait jamais vu de mouchoir, s'arrta pour l'examiner, et l'homme continua courir.

Quand la jeune fille eut assez examin le mouchoir, elle continua la poursuite. Quand l'homme vit qu'elle allait l'atteindre, il jeta le corail. La jeune fille s'arrta pour examiner le corail avant de continuer la poursuite. Quand l'homme vit qu'elle allait l'atteindre, il jeta le miroir. La jeune fille s'arrta pour s'admirer, et l'homme arriva chez lui et raconta toutes ses aventures sa femme.

Le lendemain l'homme alla la ville. Il se plaa sur le march, et commena crier: "J'ai un cheveu rouge vendre. J'ai un merveilleux cheveu rouge vendre." Quelques minutes aprs un homme arriva et dit: "Je vous donnerai un sou pour votre cheveu rouge. "Ce n'est pas assez!" dit l'homme. Un autre homme arriva: "Je vous donnerai le double, deux sous," dit-il. "Ce n'est pas assez."

Les autres acheteurs arrivrent, et ils commencrent dire l'un aprs l'autre: "Je vous donnerai le triple, trois sous."

"J'en donnerai quatre."

"J'en donnerai cinq."

Ils continurent ainsi et un homme dit enfin: "Je donnerai vingt sous, un franc."

Les enchres continurent, et la foule augmentait toujours. Le prix du cheveu rouge augmentait rapidement aussi. Enfin le roi arriva et dit: "Je vous donnerai dix mille francs." L'homme accepta cette somme et alla la maison, o il se trouva assez riche pour lever ses enfants. Le roi porta le cheveu merveilleux dans son palais, le coupa dans sa longueur et trouva une inscription, qui racontait les choses importantes qui s'taient passes depuis le commencement du monde, et il ne regretta jamais d'avoir pay dix mille francs ce cheveu merveilleux.



UN CONTE DE MA MRE L'OIE.[27]

[Note 27: This is one of the folk tales told along the banks of the Danube. It forms part of the Slavonic folk lore.]

Dans une contre traverse par le Danube il y avait une fois un roi qui se trouva forc, peu de temps aprs son mariage, de quitter la reine, sa femme, et de partir pour la guerre. Son absence fut longue, trs longue, et la reine attendait son retour avec impatience. Elle voulait lui montrer son fils qu'il n'avait jamais vu, car l'enfant tait n aprs son dpart.

C'tait dans les temps o il n'y avait ni poste, ni tlphone, ni tlgraphe, ni chemins de fer, ni bateaux vapeur, et la pauvre reine n'avait pas de nouvelles de son mari, et le roi n'avait pas de nouvelles de sa femme. Enfin la guerre fut termine, et le roi se mit en route pour son royaume. Un jour il se trouva en grand danger de prir dans un torrent, et il dit:

"Oh! ma chre femme, je vais prir ici, sans vous revoir!"

Un corbeau arriva et dit: "Roi, promettez-moi que vous me donnerez la chose que vous avez de plus chre au monde, mais que vous ne connaissez pas, et je vous sauverai."

Le roi pensa; "La chose qui m'est la plus chre au monde c'est, sans doute, ma femme. Pour le plaisir de revoir ma femme, je donnerais volontiers une chose que je ne connais pas!"

Le roi accepta donc la proposition du corbeau, qui dit: "Je suis gnreux, mon roi, et je vous laisserai cette chose pendant sept ans avant de la rclamer."

Le corbeau sauva donc le roi, qui arriva la maison, o il vit la reine, et o sa surprise fut grande de trouver un joli petit enfant, qui tait son fils. Mais son chagrin fut presqu'aussi grand que sa surprise, quand il pensa la promesse qu'il avait faite au corbeau.

Le temps passa vite, trop vite, et quand le petit garon eut sept ans, le corbeau arriva, et disparut aussitt avec l'enfant royal.

Le corbeau transporta le petit prince dans une valle profonde, inconnue, solitaire, et le donna un pauvre homme qui demeurait l avec sa femme et sa petite fille, qui n'avait que cinq ans, mais qui tait trs avise.

Les deux enfants taient trs heureux ensemble. Le pre et la petite fille aimaient beaucoup le petit prince, mais la mre ne l'aimait pas, et elle le maltraitait beaucoup, car elle tait mchante et un peu sorcire.

Un jour cette femme dit son mari: "Jean est trop avis; il faut nous dbarrasser de lui."

L'homme protesta en vain; la femme appela Jean, et dit: "Jean, vous tes grand maintenant, mais vous ne travaillez pas assez. Il faut que vous abattiez cette fort, d'ici demain, et que vous btissiez un pont qui chantera quand je passerai dessus."

Le pauvre Jean tait trs triste. Il appela sa petite amie Catherine, et dit: "Catherine, votre mre est bien cruelle! Elle dit qu'il faut que j'abatte la fort, d'ici demain, et que je btisse un pont qui chantera quand elle passera dessus."

"Oh!" dit la petite Catherine; "allez vous coucher, mon cher Jean. Cette tche n'est pas difficile. Je vous aiderai, mais faites bien attention de ne pas boire le lait que ma mre vous donnera demain matin."

Jean alla se coucher tranquillement, et la petite fille, qui tait un peu sorcire aussi, courut la fort, voqua les esprits, leur commanda d'abattre la fort et de btir un pont qui chanterait quand sa mre passerait dessus.

Le lendemain matin Jean se prsenta devant la femme, et dit: "C'est fait!"

"Ah! trs-bien, mon bon enfant; voici du lait; buvez-le," dit la femme. Mais Jean, qui n'avait pas oubli la recommandation de Catherine, ne but pas le lait.

La femme tait fche, et elle dit son mari: "Mon mari, Jean est trop avis; il faut nous dbarrasser de lui."

L'homme, qui aimait Jean, protesta, mais en vain, et la femme dit Jean:

"Cette nuit vous irez dans l'curie, o vous trouverez six chevaux. Sellez et bridez ces chevaux, et faites-les trotter."

Jean tait trs content parce qu'il croyait (pensait) que c'tait trs facile, mais Catherine dit: "Jean, ce n'est pas facile, car un de ces chevaux est ma mre elle-mme. Mais si vous prenez ces six brides magiques, la chose sera facile."

Jean prit les brides que Catherine lui donna; il brida et sella les six chevaux, il les fit trotter toute la nuit, et avant de rentrer il les conduisit la forge o il les fit ferrer.

Le lendemain matin quand la mchante femme se rveilla, elle poussa des cris terribles, car elle avait des fers aux mains et aux pieds. Elle tait furieuse, et elle dit avec rage: "Ce misrable Jean prira, ce misrable prira!"

Catherine, en entendant ces menaces, dit Jean:

"Partons, fuyons, ma mre est furieuse. Si nous restons ici, elle nous tuera tous les deux!"

Avant de partir Catherine s'arracha trois cils. Elle jeta un cil dans la chambre, elle jeta un autre cil dans la cuisine, et elle jeta le troisime cil sur le perron.

Quelques minutes aprs le dpart de Jean et de Catherine, la mre cria: "Catherine, ma fille, que faites-vous?"

Le premier cil, que Catherine avait jet dans la chambre, rpondit aussitt: "Ma mre, je suis trs occupe, je fais le lit."

Une deuxime fois la mre demanda: "Que faites-vous donc, Catherine, ma fille?"

Le deuxime cil rpondit: "Maman, je fais la cuisine."

Enfin la mre cria une troisime fois: "Catherine, que faites-vous donc?"

"Ma mre, je balaie le perron!" rpondit le troisime cil.

Les deux fugitifs taient dj loin quand la mre s'aperut de leur fuite. Elle ne pouvait pas les poursuivre, car elle avait des fers aux mains et aux pieds, mais elle dit son mari: "Allez chercher les enfants; ils sont partis."

L'homme obit; il poursuivit les enfants.

Catherine s'arrta tout coup couta attentivement, et dit Jean:

"Jean, mon pre arrive. Je vais me changer en un champ de bl; vous serez le gardien du champ!"

Quand les deux enfants furent dguiss ainsi, le pre arriva. Il ne reconnut pas Jean, et dit: "Gardien, avez-vous vu passer un jeune homme et une jeune fille?"

"Oui," dit le gardien, "je les ai vus passer quand on semait ce champ de bl!"

Alors le pre courut plus vite. Quand il fut parti, Jean et Catherine reprirent leur forme naturelle et continurent leur fuite. Mais bientt le pre s'approcha d'eux une seconde fois, et Catherine dit Jean: "Vite, vite, Jean, changez-vous en prtre; je serai l'glise, et mon pre ne nous trouvera pas."

Le pre arriva aussitt que le dguisement eut t accompli. Il s'adressa au prtre, et dit: "Avez-vous vu passer un jeune homme et une jeune fille?"

"Oui!" rpondit le prtre, "je les ai vus passer quand on btissait cette glise!"

L'homme, fatigu et dcourag, abandonna la poursuite. Mais la mre, qui avait soif de vengeance, monta sur un manche balai et partit rapide comme l'clair.

Catherine dit Jean: "J'entends ma mre qui arrive. Changez-vous en tang; je me changerai en canard." La mre arriva. Elle s'aperut de la mtamorphose, et elle ne pensa qu' punir les enfants. Elle commena donc boire l'eau, mais elle but si avidement qu'elle mourut.

Alors Jean et Catherine continurent leur route. Ils arrivrent dans une fort, o ils rencontrrent le roi et toute sa cour la chasse. Le roi regarda le jeune homme et la jeune fille. Il les questionna, et bientt il reconnut son fils, et l'embrassa avec des transports de joie.

Le jeune prince finit par pouser la jolie Catherine, qui continua l'aider comme par le pass, et ils furent toujours trs heureux.



GODEFROI, LE PETIT ERMITE.[28]

[Note 28: One of the stories in the collection of Canon Christopher Schmid, the German writer, who was born in 1768 and died in 1854. These stories were translated into French by the tutor of the Comte de Paris in 1842, and have been the delight of French as well as of German children. In the original version this story is very long indeed, as the worthy Canon used his stories as vehicles for his religious teachings. This is a complete outline of the story.]

Il y avait une fois un pauvre homme qui avait une trs grande famille. Cet homme tait pauvre, mais il tait toujours occup, il tait trs industrieux. Cet homme avait une petite maison, et comme sa femme tait aussi trs industrieuse, la maison tait toujours en ordre.

L'homme, qui s'appelait Pierre, avait aussi un petit jardin. Dans ce jardin il cultivait quelques arbres fruitiers, et il y cultivait aussi beaucoup de lgumes. Au printemps, en t, et en automne, cet homme industrieux travaillait dans les champs de ses voisins qui taient plus riches que lui, et qui le payaient bien.

Il travaillait aussi pour les pcheurs, car sa maison tait prs de l'eau. En hiver, quand il ne pouvait pas travailler dans les champs, et quand le temps tait trop mauvais pour aller la pche, il restait la maison, o il fabriquait des filets ou des paniers, qu'il vendait aux pcheurs ou aux fermiers.

Les enfants de cet homme taient trs industrieux et trs intelligents. Le plus intelligent tait Godefroi, qui avait douze ans, et qui tait assez grand pour aider son pre aux champs, au jardin, la pche, et la fabrique de paniers et de filets. Mais Godefroi n'tait pas toujours sage. Il aimait mieux jouer que de travailler.

Un jour le pre dit Godefroi: "Mon fils, tu as t sage pendant une semaine, et maintenant tu mrites une rcompense. Demain matin, si le temps est beau, nous irons l'le Verte que tu vois en mer une grande distance d'ici. C'est une le o demeurait mon pre. Sur l'le nous trouverons beaucoup d'osier pour faire nos paniers, et nous trouverons aussi un grand noyer. Nous cueillerons les noix, et nous les apporterons la maison, o tu pourras les manger cet hiver."

Godefroi tait naturellement enchant. Il se leva de bonne heure le lendemain matin, et quand il vit que le temps tait superbe il s'habilla vite, et courut djeuner. Aprs djeuner le pre dit: "Maintenant, Godefroi, aide-moi faire les prparatifs de dpart. Voici une quantit d'objets. Porte-les au bateau."

Godefroi vit deux petites haches, un grand manteau d'hiver, deux paniers, une corde, une marmite, un pot de lait, cinq pains, et de la viande, et il dit son pre:

"Toutes ces choses ne sont pas ncessaires. Un pain est assez. Il fait chaud; pourquoi prendre ce manteau d'hiver?"

"Oh!" dit le pre, "c'est plus prudent. Je suis all l'le une fois. Une grande tempte est arrive. J'ai t oblig de rester trois jours sur l'le. Je n'avais pas assez de provisions et j'avais froid. Maintenant, si une tempte arrive, nous aurons assez de provisions, et nous aurons un bon manteau d'hiver pour nous couvrir."

Le petit Godefroi rpondit: "Le temps est magnifique aujourd'hui; il n'y a pas de signe de tempte; c'est vraiment absurde de charger le bateau ainsi!" car Godefroi pensait qu'il tait aussi sage que son pre.

Mais le pre insista, et Godefroi porta tous les objets dans le bateau. La soeur de Godefroi dit: "Voici un chapeau neuf pour toi, Godefroi, un chapeau que j'ai garni moi-mme. Regarde, j'ai mis un beau ruban vert ton chapeau, et je l'ai attach avec des pingles, car je n'avais pas le temps de le coudre."

Godefroi dit adieu sa soeur, ses six frres et sa bonne mre, et partit joyeusement avec son pre.

L'le Verte tait une grande distance; elle tait une si grande distance qu'elle paraissait bien petite. Mais bientt l'le parut de plus en plus grande, et la maison qu'ils avaient quitte de plus en plus petite.

Quand ils arrivrent l'le, Godefroi dit son pre:

"Regarde, mon pre. Notre maison parat si petite maintenant. Elle parat aussi petite qu'une toute petite pierre blanche!"

"Oui," dit le pre, "nous avons t trois heures en bateau; nous sommes une grande distance de la maison. Maintenant, Godefroi, prends une hache et suis-moi."

Le pre attacha le bateau avec la corde, puis il prit une hache, et alla couper une grande quantit d'osier. Godefroi coupa de l'osier aussi. Il arrangea les branches en fagots, et il les porta l'un aprs l'autre dans le bateau. A midi la provision d'osier tait toute faite, et le pre dit: "Godefroi, j'ai faim, allons dner."

Le pre et le fils allrent au bateau. Le pre s'assit sous un grand arbre, et dit Godefroi:

"Va chercher le pain, le lait, la viande, et le beurre."

Godefroi alla chercher les provisions. Le pre fit du feu. Il mit du pain, du beurre, et du lait dans la marmite. Il mit la marmite sur le feu, et dit: "Nous aurons une bonne soupe au lait." Quand la soupe fut prte, Godefroi et le pre dnrent de bon apptit. Alors le pre dit: "Godefroi, porte toutes ces choses au bateau, et alors nous irons cueillir les noix."

"Oh! mon pre," dit Godefroi, "allons maintenant cueillir les noix. Je porterai les choses dans le bateau plus tard."

"Non," dit le pre, "porte les choses maintenant. Un garon devrait avoir de l'ordre. Et ce n'est pas de l'ordre, c'est du dsordre de laisser ces pains, ce beurre, ce lait, cette marmite, cette pierre feu, et ce manteau ici sous un arbre."

Godefroi obit regret. Quand tous les objets furent leur place, le pre dit: "C'est bien, mon fils; maintenant prends les paniers et suis-moi." Le pre alla vers le centre de l'le, et arriva enfin un grand noyer tout charg de noix.

Le pre grimpa sur l'arbre. Il secoua l'arbre, et les noix tombrent en grande quantit. Godefroi remplit ses paniers. Il porta les paniers pleins de noix au bateau, les vida, et revint les remplir une seconde, et une troisime fois.

Le pre tait dans l'arbre, occup faire tomber les noix. Godefroi tait trs occup remplir ses paniers. Il ne remarqua pas l'approche d'une tempte. Son pre ne la remarqua pas non plus. Godefroi tait dans le bateau.

Il vidait ses paniers pour la quatrime fois, quand une grande vague arriva et enleva le bateau. Godefroi saisit les rames pour ramener le bateau terre, mais les vagues emportrent les rames. Alors le pauvre garon commena crier.

Son pre arriva au rivage, juste temps pour voir disparatre le petit bateau, qui tait emport par les vagues avec une grande rapidit. Le pauvre homme pensa: "Mon enfant, mon pauvre enfant est mort. Il a pri dans les vagues!" Et il pleura beaucoup. La mre de Godefroi avait vu la tempte, et dit: "Oh, voici une tempte terrible! J'espre bien que mon mari et Godefroi sont rests sur l'le." Elle pria toute la nuit.

Le lendemain la mer tait calme, mais le pre et Godefroi n'arrivrent pas. Alors la pauvre femme alla chez un riche voisin appel Thomas et lui dit que son mari et son fils n'taient pas revenus de l'le Verte.

Le voisin, compatissant, dit: "Ne pleurez pas, pauvre femme. Il est probable que la tempte a emport le bateau. Mais votre mari et Godefroi sont, sans doute, sur l'le. Je vais partir immdiatement pour aller les chercher."

Le brave homme partit immdiatement, et avant la nuit il revint avec le pauvre pre, qui raconta, en pleurant, que le bateau avait t emport par la tempte et que le pauvre Godefroi avait sans doute pri. Toute la famille pleura beaucoup, et la mre resta inconsolable.

Mais Godefroi n'avait pas pri. Le vaisseau, emport rapidement par la tempte, avait disparu dans l'obscurit. Le pauvre petit Godefroi, ple d'effroi (de terreur), commena prier avec ferveur: "Bon Dieu, sauvez-moi!"

Aprs avoir voyag quelque temps dans l'obscurit, le vaisseau fut jet sur un rocher. Le choc fut terrible, et Godefroi sortit vite du bateau, et tomba sur le rocher. Quand la tempte fut finie, le pauvre garon s'aperut qu'il tait sur une le. Son bateau avait t jet dans une petite anse (baie) entre deux grands rochers.

Il regarda de tous cts, et ne vit rien que les rochers, et l'immensit du ciel et de la mer. Aprs quelques minutes, cependant, il aperut l'le Verte l'horizon, mais elle tait une grande distance et ne paraissait pas plus grande qu'une petite plante.

Godefroi courut son bateau, en disant: "L'le Verte est l, il faut que je retourne l'le Verte!" Mais au bout de quelques minutes il vit que c'tait impossible. Le bateau tait bris (cass). Il vit que les rames taient parties aussi. Alors Godefroi commena pleurer. Mais il n'y avait personne pour le consoler, personne pour l'aider, et Godefroi essuya enfin ses larmes.

Il alla prendre du pain et des noix dans le bateau, mangea tristement son souper, et quand la nuit arriva, il s'enveloppa dans le grand manteau d'hiver de son pre, se coucha sur le rocher, et s'endormit en pleurant. Le lendemain matin il se rveilla. Le soleil tait chaud, bien chaud. "Oh!" dit Godefroi, "j'ai soif! J'ai bien soif; o y a-t-il de l'eau?"

La mer tait l, mais l'eau de mer est trs dsagrable. Elle est trs sale, et il est impossible de la boire. Le pauvre Godefroi regarda de tous cts. Enfin il se dcida quitter le rocher o la tempte l'avait jet, et aller chercher une fontaine dans l'le. Il prit du pain et des noix dans sa poche, il mit son chapeau sur la tte, il prit une des petites haches et un bton et partit.

Il marcha longtemps, longtemps, et dcouvrit que l'le tait forme d'une grande masse de rochers. Au centre de l'le il y avait deux pics trs levs. Les rochers de l'le taient chauffs par le soleil, et la soif du pauvre Godefroi tait toujours plus ardente. Il souffrait beaucoup. Enfin il tomba genoux en pleurant, et dit:

"Mon Dieu, faites-moi trouver de l'eau, ou je mourrai de soif!"

A cet instant il entendit un petit murmure, et en descendant dans un petit ravin il trouva une source d'eau claire. Quelle joie pour Godefroi! Il but avec plaisir, et alors il tomba genoux, et remercia Dieu qui lui avait montr cette source d'eau frache.

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